CHAPITRE 20 - Les enfants du feu

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Au bout de plusieurs heures de marche, Mélhora se demanda si elle ne préférerait pas retourner se confiner au fond de la caverne. Certes, les minutes s'égrenaient alors aussi lentement que les mots pondus par Héliane pour un devoir de sciences naturelles, mais au moins son corps n'était pas soumis à de perpétuelles sollicitations brutales – comme résister à des vents glacés, gravir des sentiers de plus en plus escarpés, ou porter un sac pesant le poids d'un animal mort. Ces quelques jours de pause n'avaient pas contribué à conserver sa force physique durement développée, et les muscles de ses jambes la tiraillaient presque aussi fort qu'au début de leur périple.

Son seul réconfort provenait de Lumenys, à qui elle jetait quelques coups d'œil de temps à autre. Enfin, quelques. Suffisamment pour que Stelias la menace de passer devant elle si elle ne regardait pas davantage la route –étant donné qu'elle avait un nombre incalculable de fois trébuché ou percuté Altyen (lequel avait eu le mérite de garder son calme) il n'avait pas tout à fait tort.

Heureusement, le grand air semblait faire le plus grand bien à la jeune Aérienne. Son visagereprenait peu à peu les couleurs que la tempête lui avaitenlevées : sa peau perdait son aspect cadavérique, une teinterosée s'étalait de nouveau sur ses lèvres, comme un bouton defleur. Ses cheveux perdaient cette couleur paille pour retrouver leurdoré caractéristique, et ses deux mèches grises revenaient àleur blond habituel. Sa respiration, toujours aussi lente, ne suggérait pas un réveil imminent, mais au moins la jeune Aérienne cessait de ressembler à une morte. À chaque regard posé sur elle, Mélhora avait l'impression qu'un étau dont elle n'avait même pas conscience libérait peu à peu sa poitrine. Malgré ses muscles tiraillés et son visage gelé, un agréable sentiment de bien-être se nichait dans son cœur, mêlé à l'impatience presque douloureuse de voir enfin les paupières de son amie se soulever.

Trop occupée à veiller sur Lumenys, la jeune Spirituelle, contrairement à son habitude, ne remarqua pas les sourcils bien plus froncés que d'habitude et le front plissé de Stelias. Ni son regard qui, malgré ce qu'il soutenait à Mélhora, se portait bien souvent derrière son épaule, et non sur la route devant lui. Il prononça à peine quelques mots durant leur repas du midi, et n'ouvrit pas la bouche une seule fois durant les heures de marche, redevenu aussi loquace qu'au début de leur périple.

Le soir venu, une fois leur campement établi sur une sorte de plateau à l'abri du vent, Stelias n'y tint plus. Alors que tous dévoraient leur nourriture à la lueurdes premières étoiles, il lâcha :

— Je crois qu'on se trompe de route.

Tous levèrent les yeux vers lui. Consilior fronça les sourcils d'un air étonné.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

À vrai dire, Stelias ne les avait pas vraiment non plus. Il se demanda d'ailleurs s'il avait bien fait de manifester son inquiétude, et s'il n'était pas en train de semer le doute pour des broutilles. Mais lorsqu'il se repassa en un éclair le fil de la journée dans sa tête, il se rendit compte qu'il ne pouvait appeler cette sensation une broutille.

— Depuis ce matin, je sens une sorte de chaleur dans la poitrine, un peu comme si une flamme brûlait à l'intérieur de moi. Et pendant toute la journée, plus on avançait, plus elle semblait grandir, et plus je la sentais. Je la sens encore maintenant. Et...

Stelias s'interrompit, la mine concentrée. Eidana se retint de lui dire d'accélérer la cadence. Et lorsque son regard croisa celui d'Héliane, elle sut que toutes les deux pensaient à la même chose.

— Et tu t'es senti mal à l'aise toute la journée, comme si tu marchais tout en sachant pertinemment que tu fonçais droit dans une impasse.

Dans un mouvement presque comique, toutes les têtes firent volte-face pour se braquer sur Héliane. Celle-ci, une expression inhabituellement sérieuse sur le visage, ne quittait pas Stelias des yeux, attendant sa réponse.

Les Six Lumières - Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant