Les Six Lumières - Livre I

CHAPITRE 13 - La grotte aux mille songes

La voix d'Eidana, claire et sans appel, trancha l'atmosphère avec la précision d'une dague aiguisée. La Terrestre n'avait bougé d'un poil, son visage impassible ne laissant filtrer aucune émotion. Seuls ses yeux bruns, rivés sur regard écarlate de la somniar, exprimaient une détermination sans faille.

— Hors de question ! protesta Consilior. C'est à moi de le faire.

— Consilior, il faut que tu arrives à rentrer dans ton cerveau que tu n'es pas le chef de cette équipe, et que tu n'es pas le seul à pouvoir prendre des décisions. Pourquoi veux-tu le faire à ma place, d'ailleurs ? Pour jouer les héros ?

— Parce que je ne veux pas qu'on te fasse souffrir, rétorqua l'intéressé en la foudroyant du regard.

Pendant quelques secondes, Eidana ne sut que répondre. Puis elle reprit la parole, le visage adouci :

— Moi qui croyais que tu sauterais sur n'importe quelle occasion pour te débarrasser de moi ! Et je ne t'en voudrais pas. Ce n'est pas vraiment comme si j'ensoleillais tes journées...

— Tu as beau te monter imbuvable la plupart du temps, je ferai toujours tout mon possible pour te protéger et assurer tes arrières. Car que tu le veuilles ou non, on fait partie de la même équipe, Eidana. Je ne laisserai personne faire du mal à aucun d'entre vous. Et tu as beau être une fée remarquablement intelligente, tu n'es pas une guerrière... C'est pour ça que c'est à moi de me porter volontaire. En plus, ma mort serait moins importante que la tienne.

Il prononça ces paroles avec une telle conviction qu'il ne vient même pas à l'esprit d'Eidana de les tourner en ridicule. En temps normal, la grandiloquence de son discours l'aurait agacée. Mais voir que Consilior n'hésitait pas un instant à risquer sa vie pour sauver la sienne la bouleversait. Il était même persuadé qu'il avait bien moins de valeur qu'elle ! Pour la première fois, Eidana comprit ce que sa sœur avait pu voir chez son beau-frère. Elle eut l'impression qu'elle en avait davantage appris sur le Spirituel en quelques minutes qu'au cours de ces vingt dernières années.

Mais malgré la noblesse de ses sentiments, malgré les arguments convaincants qu'il avançait, Eidana savait qu'il se trompait. Il ne connaissait rien des somniars, contrairement à elle qui comprenait comment elles fonctionnaient. C'était à elle de se mesurer à la Doyenne.

— Tes paroles me touchent, répondit-elle en plantant son regard dans le sien, pour qu'il comprenne qu'elle parlait tout à fait sérieusement, sans la moindre trace d'ironie. Et je comprends tes réticences, mais je pense que tu fais fausse route. Ici, ce n'est pas la force physique qui prime. Tu as dit que j'étais remarquablement intelligente : fais confiance à mon analyse de la situation, fais confiance à mon esprit. Fais-moi confiance.

Consilior ne répondit rien. Il semblait sonder le regard d'Eidana, évaluer son niveau d'assurance et de détermination. La Terrestre soutint son regard. Personne ne tenta d'intervenir, pas même Stelias : tous sentaient que cet échange n'appartenait qu'à eux. Au bout de quelques secondes, Consilior acquiesça en signe de reddition. Eidana lui renvoya un regard déterminé, puis reporta ses yeux sur les prunelles rougeoyantes de la somniar, qui avait regardé cet échange avec curiosité. À présent, elle dévisageait Eidana d'un regard pénétrant, dans lequel brillait une lueur indéfinissable.

— Vous êtes des créatures très divertissantes, je dois le reconnaître... Vos rêves doivent avoir une saveur extrêmement intéressante ! Mais bon, assez bavardé : puisque nous avons notre volontaire, inutile de retarder la confrontation plus longtemps. Levez-vous, ordonna-t-elle à Eidana d'un ton suave.

L'intéressée se mit debout sous les grondements excités des autres somniars. Sa longue chevelure rousse cascadant sur ses épaules, elle offrait un contraste saisissant avec la meute de panthères au pelage blanc comme la neige. Frêle et redoutable, elle semblait défier de son regard brun l'ensemble des yeux rouges qui la dévoraient de pied en cape.