Les Six Lumières - Livre I

CHAPITRE 33 - Le piège de l'imprévu

Mélhora, le corps frissonnant, se releva d'un coup pour se jeter près d'Eidana, qui se plaça aussitôt devant elle après l'avoir rapidement balayée d'un regard inquiet. La jeune fée passa des doigts tremblants sur sa gorge pour essuyer les rares gouttes de sang qui avaient pu s'en échapper. Elle ne pouvait détacher les yeux du corps inanimé de Fantôme, étendu à plat ventre, plaqué au sol par un couteau.

Sa mort n'avait aucun sens. La situation n'avait aucun sens.

Elle en eut encore moins lorsqu'un escadron de lutins débarqua bruyamment dans la salle. Ils étaient au moins une bonne dizaine, tous animés de la même expression réjouie et du même regard sauvage. Ces lutins n'avaient pas du tout la même attitude que leurs ravisseurs : ils se déplaçaient avec assurance, sans se soucier de leur discrétion, prenant toute la place. La ribambelle de lames accrochée à leurs ceintures, leurs regards acérés, leurs carrures plus imposantes : ils avaient bien plus l'air de guerriers que de voleurs.

Une deuxième lame fendit l'air, si vite que Mélhora l'entendit à peine passer. Mais elle perçut très bien le grognement de Givre dans son dos, et le bruit répugnant du couteau qui s'enfonça dans son crâne. Elle retint un léger haut le cœur. Elle se fichait complètement du sort de Givre, et elle n'allait certainement pas pleurer sa mort. Mais son cerveau repassa les trois cadavres qu'avait laissés Étoile, puis le cadavre de Fantôme, et le sang, le sang, le sang... Et la mort. Elle eut soudain envie de se rouler en boule dans un coin et de hurler de toutes ses forces. Quand est-ce que ce cauchemar prendra fin ?

Elle reporta son attention sur les nouveaux arrivants. Si elle avait encore des doutes, le meurtre de Givre et les sourires satisfaits sur leurs visages confirmèrent ses soupçons : des Scorpions venaient de se rajouter à l'équation. C'était peut-être une bonne nouvelle : si elle avait bien compris Consilior, les Scorpions étaient leurs alliés. Et puis, ils avaient un ennemi commun. Deux bonnes raisons de s'entendre.

Comme pour lui donner raison, une lutine aux yeux argentés esquissa un sourire en direction d'Eidana. Son regard perçant évoqua aussitôt à cette dernière celui d'un oiseau de proie. Pétrifiée par ce retournement de situation, elle restait immobile, jaugeant les nouveaux arrivants.

— Beau travail, commença la lutine. Vous nous avez bien facilité la tâche :ces deux-là étaient sur le point de faire sauter la base. Visiblement, on a beau s'appeler le clan des secrets, on a les mêmes mesures d'urgence que tout le monde...

— Mais... il y avait encore beaucoup des leurs dans les couloirs, avança Mélhora avec précaution.

La lutine posa son regard sur elle. Un sourire désabusé se peignit sur ses lèvres tandis qu'une lueur moqueuse s'allumait dans son regard.

— Oui, mais pas les patrons. Et ce sont eux qui comptent le plus, expliqua-t-elle en haussant un sourcil. Tant pis s'ils perdent beaucoup des leurs, s'ils ont l'occasion d'éradiquer tous les Scorpions d'un seul coup... Croyez-moi, ils n'ont pas dû hésiter longtemps.

Elle se pencha sur le corps de Fantôme et récupéra sa lame d'un coup sec. Mélhora détourna les yeux.

— Maintenant.

La lutine eut à peine le temps de prononcer ce mot que deux lutins se jetèrent sur Eidana. C'était sans compter les réflexes de la Terrestre qui les envoya tous deux valser d'un coup de liane : ils furent projetés contre le mur et assommés. Deux chaînes douloureusement familière s'échappèrent de leurs mains.

Mais le reste des lutins prit aussitôt le relais : ils attaquèrent tous ensemble Eidana qui, submergée par le nombre, ne put en repousser que quelques uns. Mélhora, délaissée pendant quelques secondes,mobilisa son pouvoir pour s'emparer momentanément de l'esprit des lutins et les déconcentrer. Mais la connexion se rompit brusquement lorsque sa peau entra en contact avec un métal froid.