Les Six Lumières - Livre I

CHAPITRE 24 - Gnosirah

Quatre jours furent nécessaires aux neuf fés pour redescendre jusqu'au village. Heureusement, aucune tempête de neige ne se leva pour leur faire perdre encore davantage de temps. Si Consilior eut parfois quelques hésitations sur le chemin à prendre, il semblait que le mont Eldurhim se montrait beaucoup moins hostile envers ceux qui souhaitaient redescendre dans la vallée. À moins que leur absence de difficultés à s'orienter ne soit un dernier cadeau de Phoïnè... Phoïnè dont la plume orangée reposait bien précieusement dans leurs affaires, aux côtés du lys immaculé. Deux sur six.

Lors de leur marche, peu de voix venaient troubler le silence enneigé. Plongé dans ses pensées, chacun repensait, revivait à sa manière la nuit d'horreur et de beauté que tous venaient de passer. Lorsque le soir tombait et que le campement s'installait, nul ne pouvait s'empêcher de jeter un regard à Coralya, dont les jambes blessées ne pouvaient pas encore supporter le poids.

La jeune Corporelle, à son grand désarroi, était condamnée à l'immobilité. Elle reposait dans les bras de Stelias le jour, et ne quittait pas sa couverture la nuit. Un seul regard d'Héliane lorsqu'elle avait tenté de se lever l'avait dissuadée de faire un geste de plus : la jeune Flamboyante avait très bien remarqué sa grimace de douleur lorsque quelques croûtes sur ses jambes s'étaient rouvertes, dévoilant ses plaies à vif.

Héliane voyait bien que priver Coralya de ses mouvements lui pesait autant, si ce n'était plus, que la douleur de ses blessures. Elle devinait dans chacun de ses regards sa frustration de rester assise, sa gêne de devoir se faire porter par Stelias, devenant ainsi un poidssupplémentaire. Des idioties, ce qu'elle ne cessait de lui répéter. Ce n'était quand même sa faute si la Dolorine l'avait prise pour cible, et c'était même elle qui en souffrait le plus ! Mais son amie avait tellement l'habitude de prendre soin des autres que se retrouver au centre de l'attention lui donnait l'impression de ne pas être à sa place.

— Si on continue d'avancer à ce rythme, cette nuit devrait normalement être la dernière sur cette montagne, annonça Consilior au dîner lors du troisième soir.

Un murmure d'approbation général accueillit cette déclaration. Coralya posa son regard sur ses jambes recouvertes de la couverture de Fidros – le jeune fé n'avait rien voulu entendre, et Coralya avait consenti à garder la couverture lorsqu'elle s'était rendu compte qu'elle le blesserait bien plus si elle la lui rendait.

Même si ses blessures restaient cachées par son pantalon et de nombreux bandages, elle sentait les couches de peau qui se reconstituaient discrètement par dessus ses plaies. Grâce à sa nature de Corporelle, son corps guérissait beaucoup plus vite que n'importe quel fé lambda : elle espérait ainsi être sur pied le lendemain, ou au moins lorsqu'ils seraient redescendus au pied de la montagne. La marche serait alors moins rude.

La marche serait moins rude. Oui, mais pour combien de temps ? Coralya secoua la tête. Ils feraient face au moment venu. Ses jambes allaient guérir, et quels que soient les obstacles qui se dresseraient face à eux, elle avait confiance en ses compagnons de route. Elle avait confiance en ses amis. Et tant qu'elle serait capable de bouger ne serait-ce que le petit doigt, tant que le moindre de ses neurones fonctionnerait encore, elle se jetterait corps et âme avec eux dans chacune de leurs batailles.

La jeune fée sourit. Elle ne savait pas si c'était la perspective de quitter enfin les hauteurs glacées du mont Eldurhim, mais une chaleur apaisante s'était nichée dans son cœur. Même les démangeaisons qui parcouraient ses jambes lui semblaient moins insupportables que la veille. Si ça te gratte, c'est que tu cicatrises. Cette nuit, rien ne pouvait éteindre la flamme qui brûlait dans ses yeux.

— Ah, le sourire est de retour !

Coralya tourna la tête pour voir Fidros s'affaler à côté d'elle, avant de recoiffer une mèche de cheveux bruns qui tombait devant ses yeux.