𝗘𝗖𝗛𝗘𝗟𝗟𝗘 𝗗𝗘 𝗟'𝗔𝗡𝗚𝗢𝗜𝗦𝗦𝗘︕ 𝗃𝗈𝗒𝗌𝗍𝗎.

BARREAU 10

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Son regard me traverse de tous les côtés. Il s'exprime sans même qu'un mot ne sortent de sa bouche encore confuse et grimaçante. Sa main s'agite, ses doigts craquent, sa jambe gauche tremble nerveusement et ses yeux me fixent avec tellement d'agressivité que je n'arrive pas à décrocher, que je n'arrive pas à respirer correctement. Je n'arrive pas à regarder quelqu'un d'autre, un autre visage que le sien, si familier et si inconnu à la fois. Je sens chacun de mes poils se dresser sur mon épiderme froid, son visage s'est fermé pour arborer une mine anxieuse, la bouche légèrement entrouverte. Veut-il dire quelque chose ? Sa main cesse de martyriser ses doigts pour rejoindre ses cheveux, qu'il peigne de nouveau, en arrière, en vain puisque des mèches reviennent recouvrir son front. Jordan me fixe, je le sens, et m'intime de reprendre mon assise précédente. Le silence règne toujours, à en croire que cette maison ne peut contenir que le silence pesant et angoissant d'une nouvelle aussi particulière que la mienne. Le temps continue de s'écouler, mais je n'arrive pas à discerner si cela est des secondes, ou bien des minutes qui viennent de s'échapper du sablier qu'est mes paroles.

— C'est... inattendu.., déclare la mère de Jordan, un peu mal à l'aise.

Je sais qu'elle essaie de détendre l'atmosphère en prenant la parole, mais tout reste aussi lourd que lorsque je me suis exprimé. Je vois sa bouche s'ouvrir de nouveau, puis elle respire, tremblante, jette un œil autour d'elle avant de sourire, sans grande conviction. Jordan décroche mon regard, se gratte l'arrête du nez, avant de faire trembler sa jambe sous la table. 

— Pourquoi vous êtes aussi silencieux, comme ça ? C'est censé être une bonne nouvelle. Vous n'êtes pas heureux pour Théo et moi, c'est quoi le problème ?

Toutes les paires d'yeux présentes dans la pièce s'étaient tournés vers Jordan, qui venait de s'exprimer assez sèchement. Cela eût don de faire sortir de sa stupeur la plupart d'entre eux, qui furent ainsi apte à communiquer de nouveau, comme si le barrage des mots venait de se détruire subitement. Ils ne semblent plus choqués, mal à l'aise ou confus. Tous sauf un. Un seul qui n'a pas quitté mon visage des yeux depuis le début. Son avis pèse lourd sur ma confiance et conscience, et je sais que ce n'est pas bon pour moi de m'attendre à quelque chose de bon. Tout comme je sais que son avis sera tout sauf positif, et que ça mènera surement à une bagarre verbale entre Jordan et lui. Je redoute si fortement son silence, que veut-il me dire avec ses yeux ? Dois-je comprendre ses éclairs à mon égard comme un avertissement ? Ou une mort certaine ? Je n'en sais rien, je n'arrive plus à réfléchir. Des sueurs froides dévalent mon dos, mes mains sont moites et ma respiration saccadé. Je sens un poids immense m'écraser la cage thoracique, je me sens faiblir avec importance. Vais-je enfin être libre de tout cela si je meurt maintenant ? La famille de Jordan semblent heureux pour lui, ma famille aussi. Mais lui, il ne le sera pas. Jamais. Et je le sais, et le savais depuis le début.