~Chapitre 40~(parti 4)

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Le 18 juin, il est rapporté au marquis d'Apcher que, la veille, la Bête, avait été vue dans les paroisses de Nozeyrolles et de Desges.
Elle aurait tué, dans cette dernière paroisse, Jeanne Bastide, âgée de 19 ans, au village de Lesbinières.
Le marquis décide de mener une battue dans cette région, sur le mont Mouchet, dans le bois de la Ténazeyre, le 19 juin.
Il est accompagné de quelques volontaires voisins, dont Jean Chastel, réputé excellent chasseur.


Chastel a chargé son fusil d'une balle et de cinq chevrotines.
Il abat un animal de grande taille, ressemblant à un loup, au lieu-dit la « Sogne d'Auvers » (Auvers).


« (Jean Chastel) tomba (la Bête) d'un coup de fusil qui le blessa à l'épaule. Elle ne bougea guère et d'ailleurs fut assaillie de suite d'une troupe de bons chiens de chasse de M. d'Apcher. Dès qu'on la vit hors d'état de pouvoir faire des victimes, elle fut chargée sur un cheval et portée au château de Besque, paroisse de Charraix dans le Gévaudan, près des frontières d'Auvergne ».

Dans son ouvrage imprimé en 1889, l'abbé Pierre Pourcher narre la scène ainsi :

« Quand la Bête lui arriva, Chastel disait des litanies de la Sainte Vierge, il la reconnut fort bien, mais par un sentiment de piété et de confiance envers la Mère de Dieu, il voulut finir ses prières ; après, il ferme son livre, il plie ses lunettes dans sa poche et prend son fusil et à l'instant tue la Bête, qui l'avait attendu. ».

Toute fois, les archives du XVIIIe siècle n'évoquent pas de pareilles précisions, puisqu'il s'agit d'une tradition orale édifiante rapportée à Pierre Pourcher, à la fin du XIXe siècle, par l'une de ses tantes religieuses.
En introduisant ces composants dévotieux, l'abbé « codifie la légende » et rédige une « véritable page de livre des saints » visant à magnifier Chastel en pieux héros régional.
De surcroît, l'historien Guy Crouzet souligne que la tirade prêtée au chasseur (« Bête, tu n'en mangeras plus ! ») ainsi que l'anecdote des médailles de la Vierge Marie prétendument portées par Chastel à son chapeau.
Puis fondues pour en fabriquer des balles ne sont que des inventions d'Henri Pourrat dans son roman Histoire fidèle de la bête en Gévaudan (1946), fiction prise au premier degré par Gérard Ménatory et Raymond Francis Dubois.


Le 25 juin, soit huit jours après que Jean Chastel a abattu la Bête, une louve qui l'accompagnait, selon plusieurs témoignages, est tuée à La Besseyre-Saint-Mary par le sieur Jean Terrisse, chasseur de monseigneur de la Tour d'Auvergne.


En tout état de cause, les attaques avaient cessé entièrement en Gévaudan. Les autorités du diocèse accordèrent des gratifications aux chasseurs : Jean Chastel reçut 72 livres le 9 septembre ; Jean Terrisse reçut 78 livres le 17 septembre ; enfin, une somme de 312 livres fut partagée entre les chasseurs qui avaient accompagné Chastel et Terrisse, le 3 mai 1768.


Le destin de la Bête


Consécutivement à la battue du 19 juin 1767, la bête est portée au château de Besque, vers Charraix, résidence du marquis d'Apcher.
On mande le notaire Marin, qui établit un rapport très précis sur les dimensions de l'animal.
Il est accompagné du chirurgien de Saugues, le sieur Boulanger, et de son fils, ainsi que d'Agulhon de la Mothe, médecin.
La bête est ensuite empaillée par Boulanger et exposée au château de Besque.
Le marquis d'Apcher ne rechigne pas à la dépense pour recevoir fastueusement la foule qui s'empresse de venir voir la dépouille.
De nombreux témoignages de victimes d'attaques viennent alors s'inscrire au rapport Marin.
La bête reste donc un long moment à Besque (une douzaine de jours).
Le marquis d'Apcher mande ainsi un domestique, le dénommé Gilbert, de l'emporter à Versailles pour la montrer au roi.


Selon une tradition orale rapportée par l'abbé Pourcher et reprise par plusieurs auteurs, Jean Chastel aurait été également du voyage pour présenter la bête à la Cour.
Mais Louis XV l'aurait dédaigneusement chassé en raison de la puanteur dégagée par la charogne sommairement empaillée par un apothicaire s'étant contenté de vider les entrailles et de les remplacer par de la paille.
Or le témoignage du domestique du marquis d'Apcher, recueilli en 1809, remet en cause cette version :


L'hôtel de la Rochefoucauld, représenté sur le plan de Turgot (1739).
La dépouille de la bête tuée par Jean Chastel a probablement été enterrée dans le jardin de cet hôtel aristocratique autrefois sis rue de Seine, à l'angle de la rue des Marais. Le tracé du jardin, les allées d'arbres et le bassin sont visibles au centre de la gravure.

« Gibert, arrive enfin à Paris, va séjourner à l'hôtel de M. de la Rochefoucault, à qui il remit en même temps une lettre dans laquelle M. d'Apchier priait le seigneur d'informer le roi de la délivrance heureuse du monstre [...] Le roi se trouvait pour lors à Compiègne et, d'après la nouvelle qu'on lui apprenait, il donna ordre à M. de Buffon de visiter et d'examiner cet animal. Ce naturaliste, malgré le délabrement où l'avaient réduit les vers et la chute de tous les poils, suite des chaleurs de la fin de juillet et du commencement d'août, malgré encore la mauvaise odeur qu'il répandait, après un examen sérieux, jugea que ce n'était qu'un gros loup [...] Il trouvait dans des chairs toutes nues une nourriture moins embarrassante et il devint, ainsi, en peu de temps, le fléau des malheureux habitants du Gévaudan. Dès que M. de Buffon eut fait l'examen de cette bête, Gibert se hâta de la faire enterrer à cause de sa grande puanteur et il dit en avoir été tellement incommodé qu'il en fut malade à garder le lit pendant plus de 15 jours à Paris. Il se ressentit de cette maladie plus de 6 ans et il attribua même à cette mauvaise odeur qu'il respira pendant si longtemps la mauvaise santé dont il a toujours joui depuis cette époque ».




Il en ressort que Jean Chastel n'a pas accompagné Gibert à Paris.

De même, le domestique n'a jamais présenté la charogne à la cour de Louis XV.
Enfin, Buffon n'a laissé aucun document à ce sujet. Loin d'avoir été conservée dans les collections du Jardin du Roi à Paris ou ensevelie à Marly ou Versailles, la dépouille de la bête a probablement été enterrée quelque part dans l'ancien hôtel de la Rochefoucault, sis rue de Seine et démoli en 1825.


Le 9 septembre 1767, le vicaire général du diocèse de Mende, M. de Rets Fraissenet, paraphe un ordre de gratification afin que Jean Chastel perçoive 78 livres payées par le receveur des tailles de la ville de Mende.
Considérée par plusieurs auteurs, comme dérisoire, voire comme une marque de défiance envers Chastel en raison de l'épisode du bourbier, la somme de 78 livres ne représente pourtant qu'une faible part de la récompense accordée au paysan de La Besseyre.


Celui-ci, revendiquant la prime de 6 000 livres promise par Louis XV le 4 février 1765 sur le compte de la généralité d'Auvergne, obtient 1 500 livres, soit « l'équivalent de 150 prises de loups « ordinaires », cinq années de revenus d'un ouvrier agricole », observe l'historien Jean-Marc Moriceau.


Après la mort de Jean Chastel en mars 1789, l'un de ses fils (probablement Jean Antoine, signant simplement « Jean ») entame une procédure juridique sous la Révolution.
À l'aide de ses titres de créances, il réclame les 4 500 livres dues, somme que le directoire du district de la Haute-Loire finit par reconnaître comme dette nationale le 28 août 1792.
Selon Jean-Marc Moriceau, la crise financière empêche le fils Chastel de recouvrer aisément les 4 500 livres puisque le 25 novembre 1797, le cultivateur « en est encore à passer devant les notaires de Langeac une procuration en blanc pour faire valoir sa créance auprès du commissaire liquidateur de la dette nationale, à Paris ».


Compléments historiques

Localisation


La Bête a sévi principalement dans le pays du Gévaudan, dont les limites sont sensiblement les mêmes que celles du département de la Lozère.
Mais elle s'est rendue également dans le Velay (Haute-Loire), la Haute-Auvergne (Cantal), et le Rouergue (Aveyron).
Si l'on considère le découpage administratif des années 2000, la Bête aurait fait plus de 80 victimes, 18 dans la région Auvergne et plus de 70 dans le Languedoc-Roussillon.
Au niveau des départements, c'est la Lozère qui est la plus touchée avec plus de 70 victimes, devant la Haute-Loire qui en déplore plus de 60.
Les cantons de Saugues, de Pinols et du Malzieu sont ceux où l'on recense le plus de victimes, avec respectivement 34, 23 et 22 personnes.

Surnaturelle Of Love (Teen Wolf)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant