Chapitre 11

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Cela faisait deux jours qu'elle était coincée dans un petit village perdu, dans le Nord de la France. Sa mère passait son temps à s'extasier sur le paysage, l'isolement revigorant et le drôle d'accent des habitants. Elle partait travailler vers 8h du matin, et rentraient vers 18h ; c'était près d'une heure de gagnée par rapport à avant. Son compagnon passait ses journées à, soi-disant, écumer les entreprises à la recherche d'un poste à pourvoir. Mais Kay avait le sentiment qu'il ne se forçait pas trop. Il bénéficiait du chômage et avait l'air d'apprécier ces vacances forcées. Le niveau de vie étant moindre ici, ils n'étaient pas dans une situation financière précaire. Toutefois, elle ricanait intérieurement, car elle connaissait sa mère. Du jour où son père avait abandonné sa carrière de footballeur professionnel pour passer plus de temps avec sa famille, il avait perdu de son attrait pour elle. Elle tenait à son confort de femme active, de working-woman ! Mais quoi qu'il en soit, pour le moment, Kay-Leen se retrouvait à jouer la baby-sitter pour ses deux petites sœurs. Le principe n'était pas nouveau, et elle adorait passer du temps avec Jessica et Claire. Mais cela prenait un aspect un peu trop régulier à son goût. D'habitude, elles allaient à la garderie de temps en temps. Elle, de son côté, passait son temps-libre à jouer de la musique, à créer des bijoux dans son petit atelier personnel, et à refaire le monde en visio avec Anita et Alexander, ses (seuls) amis du lycée. Malheureusement, rien de tout cela n'était possible là-bas. Il y avait encore des cartons partout, aucun espace pour s'installer un petit atelier de fortune. Pour la musique, n'en parlons pas... Elle avait à peine branché sa basse et gratté quelques notes sur un play-along de Rage Against the Machine, que les voisins, avec qui sa chambre/bureau/salle de stockage était mitoyenne, étaient venus frapper en rappelant que :

– c'est un quartier résidentiel apprécié pour son calme et sa quiétude.

Autant dire que sa mère lui avait fortement déconseillé de recommencer ou alors avec un casque. Mais jouer au casque était vite devenu insipide et barbant. Il lui restait la visio. Le réseau n'était pas très bon au milieu des champs marécageux, mais elle parvenait à échanger avec eux de temps à autre. Toutefois, elle redoutait à chaque fois de voir un nouveau message de Tag. Elle était toujours blessée de ce qui s'était passé. Elle avait pensé que partir lui permettrait de se reconnecter avec son "moi" profond. De reprendre là où elle en était avant de le rencontrer mais, elle qui avait à peine commencé à recoller les morceaux, elle était maintenant en poussière, irréparable.

Le soir venu, après une bonne douche, elle avait pris son carnet de croquis. Deux nouvelles idées de créations lui étaient venues, et, ne pouvant pas leur donner vie dans l'immédiat, elle devait les coucher sur le papier pour ne pas oublier. Elle travaillait sur les couleurs quand son téléphone vibra. C'était un appel sur Snapchat...

Elle hésita quelques instants avant de regarder le nom de l'appelant : 💌La team of love 💌. Soulagée de constater que l'appel venait de ses deux amis, elle décrocha tout en s'installant sur son matelas, un coussin dans le dos.

– Hey chica ! Comment tu vas ma beauté ? hurla Alexander à peine eut-il discerné le visage de Kay sur son écran.

– Ca va. Et vous ? dit-elle d'un ton neutre.

– Oh, ma belle... C'est un petit "ça va" ça ! Il s'est passé un truc chez ta mère ? demanda Anita d'une voix cassée.

– Non ! Ca va ! j'vous jure ! Il ne s'est rien passé ici... à vrai dire, c'est ça le truc ! Il ne se passe rien ici ! soupira la jeune fille.

– Mais Kay ! Sort ! Sort ! chantonna Alexander en imitant un oiseau étrange qui battait des ailes. Les champs, la nature à perte de vue! Tu dois vivre !!! Viiiiiiiiivre !

Alexander assumait parfaitement son homosexualité, et vivait très bien d'être une personne très maniérée. Il avait un vrai sens du drame et de la mise en scène; une vraie diva. Mis à part le fait qu'il chantait atrocement faux, pendant leurs parties de guitar héro, il faisait le spectacle comme un vrai pro. Alors qu'Anita lui hurlait de se calmer à travers le réseau, Kay ne put retenir un rire profond et sincère. Il avait vraiment un don pour la détendre en toute circonstance; elle l 'adorait pour ça.

Un océan émeraude {TAG x OC} _ f2rxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant