Suspension sentimentale

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A peine eut-elle ouvert les yeux que Rin fut saisie d'un violent mal de crâne, et d'une nausée qui lui retourna le ventre. Le plafond qu'elle fixait, tandis qu'elle tentait d'empêcher la bile de remonter le long de sa gorge, semblait la narguer. Lui rappeler ces longues nuits de contemplation, durant lesquelles elle le fixait désespérément, comme attendant une réponse que ses vieilles planches de bois ne pouvaient lui donner. Lui remémorant les larmes qui noyaient si souvent ses yeux, à l'époque, lui faisant oublier la sensation de ne plus ressentir ces picotements qui l'irritaient. Durant un court instant, Rin crut avoir été ramenée dans le temps, ramenée au temps du lycée, crut qu'à n'importe quel instant, sa mère surgirait en trombe par sa porte pour lui intimer de cesser de faire l'enfant, et de se préparer pour aller en cours. Crut qu'elle devrait, une nouvelle fois, se lever, déjeuner et s'habiller, la peur au ventre, puis marcher en silence jusqu'aux portes du lycée de Yamanashi, marche silencieuse d'une condamnée quotidienne. Hayato l'attendait toujours au portail. Il n'aurait pas voulu qu'elle lui échappe, après tout. S'il l'avait pu, il aurait probablement préféré l'attendre devant chez elle, mais il habitait trop loin, et détestait devoir se lever plus tôt pour effectuer un tel détour. Alors, Rin marchait lentement, très lentement, le plus lentement possible, prolongeant son sursis autant que possible, avant l'inévitable torture.

Les larmes, ses plus fidèles compagnes, revinrent inonder les joues de Rin, tandis qu'elle tentait de calmer les battements frénétiques de son cœur, la pulsation douloureuse de son pouls contre sa boîte crânienne, les hauts le cœur que subissait son estomac. Ce n'était qu'une mauvaise impression, un souvenir délétère imposé par son esprit encore embrumé par les brumes du sommeil. Hayato n'était plus là pour l'attendre au portail. Sa mère ne venait plus la réveiller pour partir au lycée. Et elle n'était plus seule. Rin tourna la tête vers le corps encore endormi de Noriko, assoupie sur le futon posé au centre de la chambre, sous la fenêtre aux volets fermés. Sa présence avait quelque chose de rassurant, certes... mais elle n'était pas Hataru. Un frisson parcourut la peau de Rin, en imaginant les caresses de sa petite amie au matin... dire qu'elles lui manquaient, alors qu'elles s'étaient quittées moins de 24h plus tôt... l'amour avait quelque chose de terrifiant.

Silencieusement, Rin s'extirpa des draps de son lit. Ils étaient aussi trempés de sueur qu'elle même. Elle s'en était doutée, mais dormir à cet endroit, même avec Noriko proche d'elle, n'avait rien d'un moment plaisant. La jeune femme se glissa hors de sa chambre, dans le couloir encore silencieux. Il était encore trop tôt pour que ses parents soient levés. Rin entrouvrit la porte de la petite salle de bain, et s'appuya contre l'évier. Elle tremblait encore légèrement. Sa nausée s'accentua à la vue de la pharmacie familiale, fermée d'un cadenas, mais elle résista au goût amer qui envahissait pourtant sa gorge, en se forçant à respirer, et en déglutissant régulièrement. Son reflet dans le miroir faisait peine à voir. Ses cheveux trempés de sueur collaient à ses joues et son front. Elle avait une pâleur morbide, qui renforçait la noirceur des cernes soulignant ses yeux rougis. Rin essuya une grosse goutte qui s'écoulait lentement le long de sa joue - larme ou sueur, elle ne savait pas vraiment. D'une main tremblante, elle alluma le jet d'eau et s'aspergea le visage de larges gerbes allant jusqu'à tremper le t-shirt lui servant de pyjama. 

-Rin? Ça va?

La voix qui retentit toute proche, derrière la porte fermée de la petite salle de bain fit sursauter la jeune femme. Elle ferma les yeux, et tenta de calmer ses tremblements pour ne pas qu'ils ne se ressentent dans sa voix.

-Ça va. Tu peux retourner dormir.

-Ne me mens pas, Rin. Rétorqua la voix de Noriko avec fermeté. 

-Je te dis que ça va. Grogna Rin, serrant le rebord de l'évier au point de voir les jointures de ses doigts blanchir. 

-Tu as une drôle de définition de bien aller, dans ce cas. 

Auprès du feuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant