Lendemain de soirée

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Lentement, Hataru ouvrit ses paupières. Un zebrage de rais de lumière éclairait la petite chambre étudiante qu'elle occupait, révélant que le soleil était déjà bien levé. Pourtant, la jeune femme ne ressentait aucune envie de se lever. Une torpeur immense engourdissait ses membres, comme si l'air était devenu une sorte de mélasse dans laquelle se mouvoir était un sport à part entière. Le spectacle de zébrures lumineuses proférées par les stores captiva son attention. Leur intensité et régularité variait de manière chaotique, à cause des branches des arbres qui se balançaient sous la brise marine juste sous sa fenêtre. Déjà, les feuilles prenaient les teintes multicolores de l'automne, et la forêt était devenue un feu d'artifice constant dans lequel la jeune fille adorait aller se promener. Elle aimait beaucoup l'automne. Sa grande sœur, dont c'était la saison préférée, lui avait appris depuis longtemps à en savourer toute la beauté, et le rappel de l'éphémérité de la vie qu'elle faisait exploser au grand jour. 

Hataru en aurait presque oublié que cela faisait désormais presque six mois qu'elle avait quitté le cocon familial pour partir loin, bien loin, au delà des océans et des frontières, pour étudier ici, à l'université de Shizuoka, au sud de Tokyo. Presque six mois que l'atmosphère tranquille de son petit quartier d'Ilica avait laissé place à celle, enfiévrée, de la ville portuaire et de son campus. Presque six mois qu'elle avait laissé derrière elle sa grande sœur, Aki, seule à la maison, elle qui s'était occupée d'elle et de ses deux autres sœur depuis le décès de leurs parents. Elle avait été la dernière à partir, étant la plus jeune. Cela n'avait pas rendu les choses plus faciles pour autant. Aux yeux d'Aki, elle était toujours le petit bébé qu'elle avait élevée avec sa compagne de ses deux ans jusqu'à l'âge de prendre son envol, et Hataru s'était longtemps sentie coupable de laisser sa soeur seule à la maison. Enfin... Elle n'était pas totalement seule, avait tenté de se justifier Hataru à de nombreuses reprises pour faire disparaître le sentiment de culpabilité qui la rongeait durant les premiers mois de son année à Shizuoka. Jade était avec elle. Et puis, elle avait les chats, aussi. Et les habitants du quartier. Et puis, elle pourrait enfin avoir un semblant de jeunesse, sans avoir à s'occuper de ses sœurs. Pouvoir sortir, pouvoir profiter de Jade, ce genre de chose. 

Hataru soupira. Sa contemplation l'avait replongée dans la morosité qui l'habitait depuis plusieurs mois désormais. Elle parvint à se lever, au prix d'un effort qui lui sembla surhumain. Le drap qui la recouvrait jusque là glissa le long de sa peau, révélant la nudité de sa poitrine. La soirée de la veille revint à la mémoire de la jeune fille. Son regard glissa sur le corps encore endormi qui gisait à son côté. Les cheveux de Kazuto étaient un peu long. Peut être allait-elle lui conseiller de les couper? Mais, en même temps, elle appréciait bien de passer sa main dans cette touffe noire et désordonnée. Avec des gestes lents et mesurés, Hataru s'extirpa des draps et enfila un soutiens gorge et une culotte qui trainaient, en prenant soin de ne pas réveiller son petit ami, dont l'anniversaire avait été fêté en grandes pompes la veille. Le léger mal de tête qui vrillait la tête de la jeune fille à chaque mouvement en était une cicatrice. Une autre fut la montagne de canettes et bouteilles de verre vides qui trônaient sur la table de la petite cuisine. L'appartement était encore plongé dans le silence, bien différent du chaos de la veille, alors que tous les amis de Kazuto et de son club de basketball buvaient jusqu'à plus soif. Hataru se demanda une énième fois comment elle était parvenue à faire tenir tout ce beau monde dans le petit appartement qu'elle partageait avec sa colocataire et amie. Elle vint donc toquer à la porte de la chambre de celle-ci, dans l'espoir de ne pas se retrouver à ranger toute seule.

-Eh, Lucie. Interpella-t-elle. J'entre.

Une voix à demi endormie lui répondit, et Hataru poussa donc la porte de la chambre, pour découvrir son amie enroulée dans ses draps au côté d'Ayato, un senpai du club de basket et ami de Kazuto. Nue, tout comme lui. Hataru soupira. Lucie était âgée de deux ans de plus qu'elle, mais elles se connaissaient depuis presque quinze ans maintenant. C'était Lucie qui avait choisi cette université pour ses études, bien loin d'Ilica, dans un pays dont elle savait si peu. Sa famille avait les moyens, après tout, et elle avait appris le japonais en même temps qu'Hataru, même si elle le parlait... de manière relativement bancale, lorsqu'elle avait quitté Ilica. Deux ans plus tard, Hataru, n'ayant pas vraiment d'idée de ce qu'elle voulait faire de sa vie, avait décidé d'accepter l'offre de sa meilleure amie de la rejoindre à Shizuoka. Pour la famille Tsukino, c'était un choix bien plus difficile à faire que pour celle de Lucie. Les Delbos étaient aisés, alors qu'Aki Tsukino avait toujours dû avoir plusieurs petits boulots en parallèle pour subvenir aux besoins de sa famille. Mais Lucie avait proposé de payé le voyage, et d'aider pour les frais d'inscriptions. Hataru s'était laissée tenter. Et avait ainsi découvert le Japon, pays de ses ancêtres, et dont, même si elle parlait la langue, elle ne savait finalement que ce que les membres du quartiers japonais d'Ilica lui avaient appris. Le cercle social de la très sociable Lucie était devenu celui d'Hataru - ce qui signifiait que la jeune fille ne fréquentait presque que des étudiants de deux à trois ans plus âgés qu'elle, de la même génération que Lucie. Kazuto, son petit ami, ne faisait pas exception. Ni Ayato, l'homme qui partageait le lit de Lucie pour une énième fois, espérant probablement que, cette fois-ci, la jeune femme prendrait la chose au sérieux et non pas comme un coup d'un soir. Hataru avait presque de la pitié pour le pauvre Ayato, qui tentait ainsi de séduire Lucie depuis leur première année ensemble. Mais l'amie d'Hataru n'était pas prête à se poser, loin de là. Elle volait de conquête en conquête, appréciant chaque homme qu'elle mettait dans son lit. Elle avait même rejoint le club de basket uniquement dans cette optique. Et, de leur côté, les étudiants de l'université ne pouvaient se lasser de Lucie, "l'européenne". Avec sa peau blanche, ses grands yeux profonds et ses lèvres pulpeuses et féminines, la jeune femme sortait du lot des femmes japonaises, c'était le moins qu'on puisse dire. Son accent ilycien venait renforcer cette impression - il ne s'était que peu dissipé en deux ans au Japon, au point qu'Hataru s'était demandé s'il ne s'agissait pas d'une énième technique permettant d'attiser le désir des hommes. 

Auprès du feuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant