Remontée et particulièrement peinée, le vieux
plancher grinçant s'affaissait sous mes pas lourds, je me dirigeais vers le salon. Armelle avait préparé son coup et m'attendait à coup sûr dans le canapé, son verre à la main, la tête baissée.- T'as mis ou les pots ?
Elle relevait lentement les yeux vers moi, retirant ses lunettes strictes de son nez.
- Et les pinceaux ? Et les toiles ? J'ajoutais, la gorge serrée.
- On s'en fiche non ? Ils ne sont plus dans ta chambre.
- Pourquoi tu fais ça ?
- Je te l'ai déjà dis Od', tu déconnes en ce moment et je te laisserai pas faire ça.
Un blanc s'installait, durant lequel un semblant de combat de regard s'établissait entre elle et moi. Le sien était désintéressé et hautain, tandis que le mien était noir et tranchant.
- Qu'est ce que ça peut te foutre à toi, hein ? Elle haussait les sourcils, surprise de mon ton sec. T'en a jamais eu rien à faire de moi, de ce que je ressentais ou de ce que j'aimais. T'as toujours été tellement égoïste et vide que tu te rattaches à ton travail au point que t'as jamais réussi à créer de lien avec Léo et moi. Tu t'es jamais intéressé à ce qu'il se passait dans ma vie, c'est peut être parce que t'es tellement mal dans la tienne que tu supportes pas de voir que les autres peuvent être heureux.
Elle se relevait doucement de son assise, déposant son verre de vin sur la table en chêne. Elle se redressait, comme à son habitude, droite comme un I, se rapprochant de moi et me surplombant de sa hauteur.
Rares étaient les fois où j'avais pu l'appréhender sans ses hauts talons noirs, je ne savais pas vraiment la taille qu'elle faisait.
En tout cas, elle restait impressionnante lorsque, comme ce soir, elle me dépassait de plusieurs centimètres.- C'est chez moi que tu es tant que papa et maman sont partis et tant que Léo ne peut pas t'assumer. Je m'en fous de ce que tu penses de moi Odraz, moi j'ai réussi ma vie, j'ai un boulot, j'ai un appartement et je suis bien. Toi t'es rien pour l'instant, tu crois que tu peux vivre pour ta passion et tu décroches de tes cours. J'en ai rien à faire que t'aimes peindre, t'as le droit de peindre mais ça te fera pas vivre Od'. Et moi je suis là pour te faire comprendre mettre ta passion avant ta raison ça t'amènera a rien de stable. Tu seras jamais assez douée dans ce domaine pour en vivre, il faut du talent pour ça.
- Parce que tu crois que t'as réussi ta vie, toi ? Toi qui part et rentre tous les jours à la même heure, avec la même tenue, la même coupe de cheveux et le même air ultra ennuyant. Te servir ton verre de vin rouge et t'asseoir pour lire ton code pénal ?Tu crois que c'est ça réussir sa vie ? Putain mais moi j'aspire pas à vivre la même vie que toi.
Dans ma colère, je ne contrôlais plus mes mots. J'avais beau ne jamais créé de réels liens avec Armelle, je n'avais jamais haussé tant la voix avec elle, surtout pour dire des choses horribles. En fait, je crois que je n'avais jamais dis autant de choses horribles tout court, à qui que ce soit.
La haine et la déception prenait le dessus sur mon tempérament habituel, les mots défilaient sans filtres, sans empathie quelconque pour celle qui fait pourtant partie de la famille.
Elle, de son côté, semblait tenter de se canaliser malgré mes mots insultants. Elle faisait perpétuer cette image d'une femme immuable, bloqué dans un corps de cire, doté d'un visage sans émotions. Elle ne m'étonnait même plus.
- Tu n'es personne Odraz. Ta peinture ne vaut rien, ton art n'est considéré par personne. Tu n'es qu'une ado qui se cherche et qui pense s'être trouvé à travers un loisir grâce auquel une minorité arrive à vivre, et sincèrement, je doute qu'un jour tu puisses faire partie de ces gens là.
Ses yeux perçants les miens, nos deux corps tremblants de colère, un silence de quelques secondes s'établissait, comme une légère trêve dans ce combat fraternel.
Peut être que cette dispute bruyante révélait un conflit interne et silencieux de plusieurs années. Peut être qu'il nous libérerait toutes les deux.
Je trouvais Armelle injuste, mon loisir comme elle aimait le qualifier ne la dérangeait en rien. Bon ok, à part le plafond blanc haussmanien que j'avais repeins.
Mais, à côté de ça, malgré mon léger désintérêt scolaire récent, je restais dans le moule, suivait ses directives concernant Ken, m'étais constamment ma rancoeur de côté en sa présence pour éviter les conflits. De son côté, j'avais l'impression qu'elle n'avait jamais fait d'effort pour comprendre qui que ce soit d'autre qu'elle même. Et surtout pas moi.
Touchée en plein cœur par ses mots, blessée à l'idée de me séparer de ma passion quelques temps, et haineuse d'avoir économisé tant de temps pour m'offrir du matériel qu'elle avait très sûrement jeté il y a quelques heures, j'achevais la conversation d'un coup de grâce, d'un point final auquel Armelle ne devait pas s'attendre, le connaissant davantage comme celle qui se plie.
- En fait, t'es juste une vieille aigrie seul et triste. Sérieux tu me fais de la peine.
Cette fois ci, il n'y eu pas de moment d'entracte, d'assimilation et de silence.
Armelle a réagit à l'instant où mes mots ont été comprit. La scène était à la fois d'une rapidité extrême mais d'une lenteur douloureuse, le bras d'Armelle s'était levé sans aucunes retenus et sa main froide était venue s'entrechoquer à ma joue rougie et réchauffée par la colère.
Le contraste était à la fois douloureux et libérateur, parce que ce geste marquait la fin de quelque chose. Peut être que je n'attendais que ça, qu'elle dérape. Peut être que je l'avais poussé à bout.
Je n'étais plus en colère. Je n'étais pas triste non plus pourtant, je me sentais dans une étrange neutralité émotionnelle.
Sans un mot pour Armelle, je quittais le salon, et dans ma chambre, je récupérais mon sac de sport dans lequel je fourrais le strict nécessaire. Cinq culottes, trois teeshirt, deux pulls, mon doudou, ma trousse de toilettes qui a l'image de ma non appartenance à cet appartement n'avait jamais été défaite, et plusieurs paires de chaussettes.
Alors que je refermais le sac, je remerciais presque Armelle intérieurement qui, en me retirant l'entièreté de mon matériel, ne me laissait pas la dure tâche de choisir entre les pots et les pinceaux étant donné que je ne peux pas tout amener. Au moins, je n'avais plus rien, le choix était vite fait.
Je quittais la chambre, sans savoir quand je reviendrais ni si je reviendrais. L'avantage était que je savais à peu près vers où je me dirigeais, enfin, vers qui.
« —> A Ken Samaras, envoyé à 21h45
On peut se voir ? »
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ODRAZ
Fanfiction« - Qu'est ce que tu me veux Ken ? - Qu'est ce que je te veux ? Tu dors à droite à gauche, tu fumes de la weed, tu lâches les cours et tu me demandes ça ? - Mais tu te prends pour qui ? - Pour quelqu'un qui s'inquiète un minimum pour toi ? Putain...