22

154 10 0
                                    

- Attends, juste remplace « je ferai en fonction de toi » par « je m'en fou », parce que c'est bon, il va pas commencer à croire que vous êtes potes et que tu vas lui sauter dans les bras, répliquait Nathan, piquant mon téléphone de mes mains pour changer le message.

- De toute façon, elle VA lui sauter dans les bras, c'est couru d'avance, soufflait Lisa, allongée sur le lit de Nathan, en expirant la fumée de sa cigarette.

Je lui lançais un regard saoulé, mais j'étais peu étonnée de ce genre de réflexion de la part de Lisa, même si je savais que ça voulait simplement dire qu'elle s'inquiétait pour moi.

Nathan avait ré-engagé la conversation avec Ken.
Il avait envoyé le premier message, déjà parce que je n'en étais pas capable, mais aussi parce que je n'en avais pas envie.

Je ne savais pas trop quoi penser de cette rencontre avec Ken. Il m'avait semblé tellement sérieux, à la limite lourd dans son attitude, que ça avait presque changé ma vision utopique que je portais sur lui. La vision de la sécurité, de la bienveillance et du soutien incarné s'était assombrie. Il ne m'avait semblé que jugeant, morose et désagréable hier après midi.
Je me demandais presque si je ne l'avais pas idéalisé, lorsqu'on se voyait. Si le manque de Léo n'avait pas joué dans la balance, me poussant dans l'aura réconfortant de mon ancien ami. Enfin ami, si on pouvait appeler ça comme ça, je suppose que l'amitié se base quand même sur une relation à double sens, et je n'avais pas connu Ken assez longtemps pour me rassurer sur ce point.

Pourtant, en l'espace de quelques semaines à se croiser, il avait réussi à prendre une place importante je crois. Je comprenais pas trop pourquoi lui, et pourquoi ça c'était stoppé net.

C'est pour ça que Nathan tenait autant à ce qu'on s'explique, avec Ken. Il voulait que j'ai des réponses. J'avais eu beau lui dire que c'était quand même pas un drame de ne pas répondre aux messages de détresses de quelqu'un qu'on connaît depuis quelques semaines, et qu'en soit, Ken n'avait rien fait de mal, mais, Nathan ne m'avait pas vraiment cru, et à vrai dire, je ne croyais pas non plus à ce que je disais.

- Tiens, regarde si ça te va, Nathan me tendait mon téléphone que j'attrapais, ne me redressant pas pour autant de ma position demi assise.

Consciencieuse, je relisais l'intégralité de la conversation, pour faire regonfler une nouvelle fois mon coeur, et pour m'assurer que ce que je répondais, enfin plutôt ce que répondait Nathan, était cohérent.

« A Ken, envoyé à 19h46,
Salut. Tu voulais qu'on se voit ? »

Il est nul ce premier message. Mais bon, trop tard.
Il m'avait répondu, très rapidement.

« De Ken, reçu à 19h51,
Ce serait important non ? T'es dispo quand ? Cette semaine après tes cours ? »

Il pose beaucoup de questions, non ?

« A Ken, envoyé à 19h57,
Je m'en fou. »

Six minutes d'attente pour recevoir ce genre de réponses courtes et pourries, à sa place j'aurais déjà lâché l'affaire devant autant d'antipathie. Mais lui, non, apparement, puisqu'à peine envoyé, mon message recevait une réponse.

« De Ken, reçu à 19h59,
Je passe te chercher au lycée lundi soir.
Prend soin de toi entre temps. »

Je lâchais uniquement un pouce sur son message, pour vraiment clôturer la conversation, et pour parfaire mon arrogance.
Je tournais l'écran vers mes deux acolytes qui prenaient toute la place sur le lit. Ils plissaient les yeux tous les deux pour lire le message.

- C'est trop mignon, s'émerveillait Nathan.

- Ouais c'est ça, t'avais qu'à t'assurer qu'elle prenait soin d'elle avant, connard, dramatisait Lisa, en se rallongeant, levant les yeux au ciel.

Moi, je ne pensais rien de tout ça, je n'étais ni émerveillée, ni remontée par rapport aux messages de Ken, et à la situation générale. Je crois que j'étais surtout neutre, mon cerveau cherchait encore à se protéger peut être.

- Bon, maintenant va falloir t'occuper et te préparer en attendant Lundi soir, et on est que samedi soir, déprimait d'avance Nathan.

J'acquiesçais silencieusement, uniquement pour clôturer le sujet. Enfin, pour tenter de le clôturer.

- Tu vas lui dire quoi ?

- On peut parler d'autres choses non, je proposais, sachant pertinemment que mon espoir était vain.

- T'es malade ou quoi ? Là, il faut te préparer à fond, que t'apprenne par coeur ce que tu vas dire pour le faire regretter. Hors de question que tu ne saches rien dire face à lui et que, comme tout le monde, tu sortes de votre rendez vous avec pleins de punchlines en tête que tu aurais voulu lui claquer avant, énumérait Nathan, bien trop excité par la nouvelle.

- Nathan, je ne pourrais pas faire regretter Ken de quoique ce soit en sachant qu'il n'a rien fait de mal. On n'avait pas signé de contrat, on ne s'était rien promis, il avait le droit de ne plus me répondre, je disais en levant les yeux au ciel, fatiguée de répéter en boucle les mêmes choses auxquelles je ne croyais même pas. Et en plus, c'est lui l'adulte, c'est lui qui veut me parler, moi j'y vais seulement pour écouter ce qu'il a à me dire. Et vu son attitude de tout à l'heure vis à vis de moi, je ne crois même pas vouloir ré-instaurer un quelconque dialogue ou une quelconque amitié entre nous. Donc je n'ai pas besoin de prévoir ce que je vais dire.

Je crois qu'il a dû finir par comprendre, après ma tirade, qu'il ne fallait pas plus insister sur le dossier « Ken », puisqu'il s'était automatiquement tut, et sans même que je ne ressente qu'il ai pu mal prendre mon recadrage, Nathan s'était finalement lancé dans une nouvelle discussion avec Lisa sur les dernières sorties de sneakers. C'était aussi ça, les bons côtés de mes amis. Au delà de me soutenir dans certaines épreuves ou pour d'autres choses futiles, ils savaient aussi mettre leurs opinions et vœux de côté, pour privilégier les miens, parfois, quand ils jugeaient que c'était nécessaire uniquement.
Ils voulaient me conseiller sur la situation, pour autant, jamais ils ne choisiraient de m'influencer volontairement.

Et puis, de toute façon, si on est influencé par quelqu'un pour agir avec un autre, alors on est pas vraiment nous même face à ce dernier.
Et avec Ken, j'avais envie d'être moi même.

ODRAZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant