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Et me voilà, quelques heures plus tard, ma pochette d'art sous le bras, mon eastpack sur le dos, les mains tremblantes mais le coeur en folie, devant la porte du 40 Avenue Clichy.
J'avais attendu ce moment toute l'après midi, mon pied avait tapé le sol, impatient, pendant chacune des minutes des cours de maths et d'anglais.
Cette fois-ci, Adam ne me laissait pas angoisser plus longtemps et la porte s'ouvrait sur lui.

- Vas y, rentre.

Je passais la porte, encore timide et peu confiante.

- Ça a été les cours ?

J'haussais les épaules, ayant l'habitude de souvent user de ma communication non verbale, avant de me rendre compte que ça lançait un malaise dans la pièce.
Mon cerveau charbonnait et tendait de trouver un sujet de conversation rapide à aborder, en vain, alors qu'Adam se grattait la tête, échappant un petit rire gêné.

- Ça fait bizarre hein ?

- Tu veux dire la différence entre la fois où on était complètement éclatés à la vodka et là maintenant complètement sobre et sans l'euphorie de la soirée ?

L'ambiance se détendait un petit peu après la réplique et on s'autorisait même des échanges taquins, s'envoyant des piques, en redécouvrant ce qu'on connaissait de l'autre.
On a même pu reparler de cette fameuse soirée, à Deauville, cette fois ci de façon plus attentive, à l'un et à l'autre, à ce qu'on avait ressenti, à ce dont on se souvenait surtout.

Affalés dans le canapé de son Airbnb, nous avions même pu échanger à nouveau un baiser. J'avais apprécié ne sentir aucunes arrières pensées de la part d'Adam. Déjà parce que je n'étais pas épilée, malgré la remarque de Nathan, mais aussi parce que je n'étais pas prête à offrir quoique ce soit d'autre à Adam que des embrassades.
Avec lui, je me sentais bien, en sécurité, plus autant seule qu'à d'habitude.

Adam avait prévu de retrouver ses amis dans la soirée, mais j'étais honorée de voir qu'il tentait de rallonger notre moment partagé le plus possible. Je m'étais toujours ancrée dans la tête que lorsque je rencontrais des gens, j'étais toujours plus attachée à eux qu'ils ne l'étaient à moi. Alors, c'était plus que naturel pour moi de m'imaginer des relations à sens unique, encore plus lorsque je pensais à une possible vie amoureuse.

Adam, lui, me faisait un peu sortir cette idée de la tête. Pas complètement, parce que la faille narcissique enfouie au plus profond de moi formait toujours une plaie béante dans mon fonctionnement social, mais, avec lui, je n'avais pas l'impression d'être celle qui était moins aimée qu'elle n'aimait. Il n'y avait qu'avec Leo et Nathan que j'avais ressenti ça. Et avec Ken, les quelques fois où nous nous étions vus, et jusqu'à ce que lui aussi, se lasse.

C'est dingue comme chaque pensée positive me ramène immédiatement et irrémédiablement à une autre qui me fait souffrir. Je dois être un peu sado-maso pour m'imposer ça, même dans les plus belles situations, j'arrive à faire un comparatif avec les plus difficiles.
Et face à ces bouffées d'idées noires, j'avais désormais un remède tout trouvé, bien efficace.

- Est ce que je peux peindre ? Je coupais Adam dans sa description de ses cours de philo, que j'avoue, je n'écoutais pas vraiment.

- Euh, ouais. Bien sûr, il se redressait dans le canapé, m'observant me diriger vers ma grande pochette, tu veux te mettre où ?

- T'inquiètes j'ai pris mon petit pupitre, je lui expliquais en sortant tout mon matériel que j'installais face à lui, resté dans le canapé.

Et pour que tout soit vraiment parfait, je dégrafais par l'intérieur mon soutien gorge, terrible objet de torture que je jetais dans un rire sur Adam, et sortais un cône maléfique de la poche avant de mon sac.

- Je peux fumer ? Je lançais un regard interrogateur à Adam.

- Je pensais que c'était juste pendant les soirées que tu fumais ces merdes ? C'est Nathan qui t'a habituée à en prendre ?

- Tout de suite les grands mots pour un truc que toi même tu consommes, t'abuses.

- Mais moi je suis majeur madame, et j'en fume qu'en soirée, il répondait sur le ton de la rigolade, bien conscient qu'on n'était pas encore assez proches pour qu'il ne puisse me reprocher quelque chose.

J'allumais mon cylindre, tirait une première bouffée de fumée toxique et tout de suite, sans savoir si c'était un effet placebo ou les réels effets psychotropes de la substance, je me sentais me détendre.
Quelques tas de peinture acrylique sur ma palette, et je me sentais enfin prête à me lancer.

- En fait, j'ai remarqué que ça stimulait vraiment ma créativité.

Adam me lançait un regard interrogatif, ne voyant pas de quoi je parlais, alors que les premiers coups de pinceaux se faisaient déjà sur la toile.

- Les joints. Ça stimule de ouf ma concentration, ma créativité, mon calme, je pensais pas que ça pouvait autant réduire mes angoisses, je lui expliquais sans pour autant lever les yeux de ma toile.

Il hochait la tête, n'ayant plus rien à me répondre.

- Alors, « peins moi comme une de tes françaises », Odraz, il disait en s'allongeant de façon théâtral dans le canapé.

Je ricanais à sa réplique cinématographique bien adaptée à la situation, sans pour autant relever le regard vers lui.

Pendant que je peignais, je n'avais jamais vraiment la notion du temps. J'avais vu Adam se lever à plusieurs reprises pour téléphoner à ses amis, prétextant toute sorte d'excuse pour pardonner son retard, ou pour aller préparer un plat de pâtes au pesto, apparement sa spécialité. Il avait ensuite déposé une assiette pour moi, sur la table basse, et c'est la faim qui m'avait fait me séparer de mon activité favorite.

- Je suis désolée de t'accaparer comme ça, je vais m'en aller, j'ai juste pas vu le temps passer.

- Tu m'accapares pas, t'es ouf. Ce soir la, dans l'eau, quand je te faisais flotter et que tu me parlais de tes peintures, j'avais qu'une image en tête c'était celle que je viens d'avoir sous les yeux pendant près de deux heures.

Je lui adressais un sourire gêné mais reconnaissant.
Très vite, mon assiette de pâtes terminée et mes affaires rangées, je m'étais préparée pour partir, Adam devant retrouver ses amis, et moi, devant respecter le couvre feu imposé par Lucie et Karen.

Je lui avais laissé ma petite toile, déjà parce qu'elle n'était pas sèche et donc difficile à transporter, mais surtout parce qu'il avait l'air d'y tenir plus que moi. Et de toute façon, il méritait de la garder étant donné qu'il m'avait grandement inspiré.

- J'espère qu'on va continuer à se voir, Odraz, il disait, alors que j'étais sur le pas de la porte.

- Parce que tu aimes me voir peindre ? Je lui répondais, malicieusement.

- Parce que j'aime te voir tout court.

Aïe, touchée en plein cœur.

ODRAZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant