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Sur les quais de la Gare Montparnasse, je restais à l'écart de la foule, scrutant l'écran des arrivés de train, peinant à refouler un mélange d'excitation et de stress.

Le train d'Adam devait arriver à midi trente cinq, il était midi cinquante, et le panneau lumineux continuait d'afficher son retard.
Mon pied tapotait le sol en boucle depuis donc vingt minutes, révélant mon stress. Et quel stress ? Retrouver Adam après un mois et demi sans s'être vu tout en sachant que je m'étais éclipsé du lycée au moment de la pause méridienne pour venir à la gare. Mais plus le temps passait, plus je voyais mon espoirs d'assister à mon cours de français de treize heures quarante cinq se réduire à néant. Pourtant, j'étais bien motivée à y assister à ce cours car aujourd'hui, le module d'histoire de l'art commençait, et ça, même si j'appréciais Adam, ça n'avait pas de prix.

La douce voix résonnée de Madame SNCF me coupait de mes pensées et me faisait automatiquement relevé la tête. Le train de Deauville était enfin arrivé, ne faisant que doubler ma dose de stress. Si j'avais pu avoir l'un des cylindres de Nathan, aucun doute sur le fait qu'il aurait été terminé en quelques souffles.

Au bout du quai, perdue dans la foule de ceux qui attendaient comme moi l'arrivée d'un proche, je distinguais, sur la pointe des pieds, les premiers voyageurs qui descendaient du train, les premières retrouvailles, embrassades.

Embrassades ? On doit s'embrasser, là ?
Le soir d'Halloween, j'avais plusieurs verres de vodka-pomme dans le sang, l'euphorie du moment et la couverture de mon personnage Daphné. Aujourd'hui, je ne suis que moi.

Et sans même que je n'ai le temps de réfléchir davantage à la manière dont nous allions nous retrouver, Adam apparaissait, fendant la foule, son sac Nike et son charisme sur les épaules.

Son regard croisait le mien, il me reconnaissait, esquissait un sourire en biais et réduisait les quelques mètres qui nous séparaient encore.

Allez Od', tu peux le faire.

- Daphné, il disait face à moi, un sourire taquin aux lèvres.

- Salut. Super Od', t'aurais pu mieux faire.

Il faisait le premier pas en réduisant l'écart entre nos corps, me laissait un baiser sur la tempe et entourait mes épaules de ses bras pour me coller contre lui.
Dieu merci, il m'évitait sûrement un moment de gêne grâce à son audace.

- T'as fais bon voyage ? Je le questionnais par politesse, alors qu'on se dirigeait vers la sortie de la gare, son bras resté sur mon épaule.

Il n'avait pas perdu de sa beauté, ni de son charisme, et son aura continuait de me rendre légèrement mielleuse.

- Ouais, ça va, mais j'avais hâte d'arriver, il disait en baissant la tête vers moi et en me lançant un sourire en coin.

Je ne répondais rien, me contentant simplement d'hocher la tête, les battements de mon coeur au bord des lèvres.

C'est dingue cette façon de pouvoir ressentir des sentiments complètement contradictoires et opposés. L'appréhension et l'excitation, la peur et l'envie, le malaise et la plénitude entière. Ça donnait l'impression au corps et à l'esprit de les faire travailler doublement, le cerveau en ébullition et le cœur au bord du gouffre.

Vous saviez qu'avoir les extrémités des mains froides était signe d'un état de stress important, auquel le cerveau réagissait en ne s'occupant plus vraiment de la fluidité de la circulation sanguine au bout des doigts, car ils se concentraient sur l'état d'alerte général du corps.
Je pensais parfois à cette anecdote, quand je galérais à réchauffer mes mains et classe et que je coinçais mes doigts sous mes cuisses, quitte à les écraser. Je me disais qu'il était quand même sacrément con mon cerveau pour fonctionner ainsi, enfin je veux dire, si on partait du principe qu'à chaque angoisse il devait réduire une fonction corporelle, j'allais finir comme un légume.

A cette pensée et alors qu'on continuait de se diriger vers l'extérieur de la gare, esquivant les passants pressés, je portais mes doigts à la peau de ma joue.

Glacial.

Tu m'étonnes frérot.

Mais bon, au delà du fait que je me sentais tellement angoissée que mon corps réduisait le fonctionnement de certaines capacités vitales, j'étais aussi particulièrement heureuse et comblée.

- Tu as du temps devant toi ?

- Comment ça ? Je lui répondais beaucoup trop rapidement, sa question m'ayant coupé dans mes pensées.

- Pour aller manger ? Je t'invite.

Enfin sortis de la gare, il nous arrêtait dans notre élan, de stoppant au beau milieu du trottoir, faisant râler quelques passants.
Je regardais ma montre. Treize heure trente deux. Fais chier.

- J'ai cours dans moins d'un quart d'heure, je lui répondais, me balançant d'un pied à l'autre.

- Je te donne l'adresse de mon Airbnb alors ?

- Pourquoi faire ?

Je suis conne ou quoi ?

Il laissait un léger silence s'installer, le regardant avec ses yeux et sourcils froncés, étonnés et déstabilisés par ma remarque.

- Enfin, ouais, je veux dire oui, bien sûr, je viens quel jour ? À quelle heure ? J'énumérai, tentant de masquer ma gêne dans une tentative désespérément échouée.

- Euh, bah aujourd'hui, jeudi 5 décembre, avec moi, dès que tu peux donc je dirai vers dix sept heures quarante cinq, à la sortie des cours, au 40 Avenue Clichy ?

Je l'écoutais en pouffant de rire, tandis qu'il affichait son sourire malicieux.
J'hochais la tête en réponse à son foutage de gueule gratuit mais mérité.

- Ok ?

- Ok.

Il s'approchait, déposant un simple baiser sur ma joue et s'éloignait, se retournant une dernière fois pour m'adresser un clin d'œil moqueur.

J'étais arrivée au lycée juste à temps pour passer la grille avant que Joachim, le surveillant, ne la referme.
Nathan m'avait questionné sur mon état second, mes joues à peine rougies par l'échange avec Adam et ma course depuis la Gare Montparnasse, et je n'avais pas pu lui cacher mon entrevue avec son ami.

- Donc Adam est à Paris, pour toi, et il ne m'en a pas parlé ? Il chuchotait, me distrayant du cours de notre prof de français sur le bac blanc qui arrivait à grand pas.

- Alors déjà, il n'est pas à Paris pour moi, et ensuite, ferme là avant que j'ai encore des problèmes par ta faute.

- Si tu parles de Adam comme un problème par ma faute je te trouve quand même sacrément culottée.

Je tournais la tête vers lui, lançant un regard blasé à ses yeux rieurs.

- Je parlais pas de lui, crétin.

Il ne m'avait laissé que quelques minutes de concentration possible avant de revenir à la charge.

- T'es épilée au moins ? Il chuchotait, près de mon oreille.

- T'es complètement malade ou quoi ?

- Odraz ! Re-concentre toi ou je te fais sortir, m'avertissait Mme Blanchet.

Malgré le recadrage de ma professeure et le fait que Nathan est arrêté de s'intéresser à la vie sexuelle, je n'avais pas réussi à me remettre complètement dans le cours, bien trop impatiente de sortir de cours.

Et cette fois ci, je sentais déjà mes doigts en train de se réchauffer.

ODRAZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant