29

146 10 0
                                    

Le Lundi 3 Janvier était arrivé bien trop vite pour que je puisse me rendre compte du pétrin dans lequel je m'étais mise. J'avais appréhendé le rendez vous avec ma professeur d'éco autant que les résultats de mon bac blanc qui tombaient le même jour et la reprise après ces merveilleuses vacances de Noël.

Sacrée journée.

Les retrouvailles de notre trio avec Lisa et Nathan auraient pourtant pu élever le niveau de cette journée, mais ça n'avait pas suffit. Comme mon douze sur vingt au bac blanc de français, qui m'avait réjouit une trentaine de minutes avant que l'angoisse ne revienne. Ce rendez-vous allait marquer la fin de mes secrets, autant pour les parents de Nathan, les miens, ma soeur, que pour les autres, le corps enseignant, l'académie, et qui sait, les services sociaux. Les uns allaient découvrir que j'avais un piètre niveau scolaire dans la majorité des matières, que je « ne faisais aucun effort », et les autres eux, sauraient enfin que je n'ai ni famille à Paris sur qui compter et à qui j'ai eu assez confiance pour parler de ce rendez-vous, ni lieu assez sécure pour y vivre. Dans les deux cas, des informations que je m'efforçais de masquer seraient révélées au yeux du monde.

Pourtant, je ne sais pas ce qui m'avait décidé à me rendre à ce rendez-vous, après les cours, plutôt que fuir la réalité en sortant du lycée avec Nathan et Lisa qui avaient promis de m'attendre dans le café d'en face, mais j'y allais. De toute façon, je me tenais à l'idée que cet entretien ne durerait pas longtemps, étant donné que personne ne s'y présentera.

Alors, face à la porte de Madame Benetteau, j'hésitais quelques secondes avant de prendre mon courage à deux mains et de toquer à plusieurs reprises.
Plus vite j'y allais, plus vite j'en sortais.

Ma professeur d'économie faisait résonner ses talons derrière la porte puis l'ouvrait en grand, me laissant observer son visage à la fois stricte et bienveillant.

- Bonjour Odraz, tu es toute seule ?

J'avais déjà prévu chaque seconde de cet entretien, comment il allait se dérouler et chaque réponse que j'allais apporter. Et bien sûr, j'avais anticipé cette question.

- Bonjour, je répondais par politesse tout en la suivant jusqu'au bureau pour m'asseoir face à elle, ma soeur devrait bientôt arriver, elle m'a envoyé un message, elle était dans le métro.

Un mensonge parfait.

Madame Benetteau soufflait discrètement, se permettant même de lever un sourcil, d'un air critique voir jugeant. Si seulement elle connaissait Armelle, qui n'acceptait jamais une seule minute de retard.
Elle faisait tourner son stylo entre ses doigts, patientant en silence, renforçant ma gêne.

Les minutes passaient, seul le bruit du stylo de ma prof' qui claquait parfois sur le bureau ou de mon pied qui tapait le sol résonnait. J'espérais simplement qu'elle lâche l'affaire rapidement pour que je puisse rejoindre mes amis. Mais le temps passait, entrecoupés de quelques phrases de Madame Benetteau qui me demandait si j'avais des nouvelles de ma soeur, ce à quoi je ne répondais que par des haussements d'épaules. Elle ne semblait pas lâcher l'affaire.
Jusqu'au moment où elle se redressait et attrapait son téléphone de bureau.

- Allez, j'essaye de l'appeler, elle disait.

Je me doutais qu'elle le ferait, mais j'espérais que ça n'arriverait pas. Même si, j'étais rassurée par le fait qu'Armelle ne répondait (presque) jamais à son téléphone.

Elle pianotait le numéro de ma soeur, alternant entre son téléphone et l'ordinateur, et au moment où elle allait déclencher l'appel, deux coups résonnaient sur la porte, nous faisant sursauter toutes les deux.
Madame Benetteau, elle, poussait un soupir de soulagement parce qu'elle pensait qu'Armelle était là. Moi, j'en poussais un parce que je remerciais plus que jamais la personne qui venait de l'interrompre, en sachant que ça ne pouvait pas être ma soeur.

Et avant même que ma professeur d'économie ait le temps de se lever, la porte s'ouvrait...sur Ken.

Bug intersidéral dans ma tête.

Ken ?

Qu'est ce qu'il fichait là lui ?

Il entrait dans la pièce, passant d'abord sa tête par l'encadrement, s'excusant de son retard avec un sourire presque charmeur adressé à Mme Benetteau.

Alors ça, j'avoue ne pas l'avoir anticipé et prévu en amont dans mon plan.

- Excusez-moi du retard, Mme Benetteau, c'est ça ? Il tendait sa main à cette dernière qui s'était relevée, étonnée, tandis que je restais clouée à ma chaise, ne comprenant rien de ce qu'il se passait.

Il faut dire que Ken n'avait pas vraiment le profil pour venir à une réunion parent-prof, avec son jean noir délavé, son hoodie de la même couleur et sa casquette rose.

- Vous êtes qui, au juste ? Elle lui demandait tout en l'invitant d'un geste à s'asseoir. Aux dernières nouvelles j'avais rendez-vous avec la soeur d'Odraz, elle se rasseyait, fixant Ken d'un œil curieux.

Mon regard se tournait vers lui, aussi curieuse que Mme Benetteau, puisqu'effectivement, on se posait les mêmes questions elle et moi.
Oui, Ken, dis moi qui tu es et ce que tu fais là.

- Je suis Monsieur Samaras, le conjoint d'Armelle, elle a été retenue par son travail. Mais, je transmettrai les informations dès ce soir, hein Odraz ? Il demandait, se tournant vers moi et me faisant un clin d'œil discret auquel je ne répondais pas.

Il était complètement fou bordel.
Et comment il était au courant de ce rendez- vous ?

Milles questions en tête et aucun moyen d'avoir de réponses. A la fois, ça m'arrangeait grandement qu'il soit là pour sauver ma mise, et en même temps, c'est la dernière personne que j'aurais voulu mettre au courant de mes problèmes.

De là, ils s'engageaient dans des conversations qui ne m'intéressaient plus, Mme Benetteau faisant part de mes capacités que je n'utilise pas à bon escient, et Ken faisant semblant de comprendre de quoi elle lui parlait.
Parfois, elle me sollicitait à travers des questions rhétoriques, « tu peux faire mieux Odraz, hein ? », « c'est important que tu puisses dire quand ça va pas », ce qui me faisait relever la tête quelques secondes, hausser les épaules nonchalamment et retourner à la contemplation de mes doigts.
Madame Benetteau, face à l'histoire bidon de Ken, n'y voyait que du feu. C'est peut être son sourire charmeur et son attitude désinvolte qui l'aveuglait, en tout cas, elle semblait y croire.

- Alors, Odraz, tu nous écoutes ? Elle me faisait relever la tête, croisant son regard sérieux et celui de Ken, amusé. On a convenu qu'on te laissait le temps de te remplumer, on se revoit très vite avec ta soeur cette fois, pour voir si ces soucis de comportements et d'attentions ont évolués, d'accord ?

Je haussais simplement les épaules en guise de réponses, appréhendant déjà un nouveau plan pour qu'Armelle ne soit pas au courant de la prochaine rencontre.

- Tu peux répondre oralement s'teu plaît ?

Attendez, pause.
C'est Ken qui vient de me donner un ordre là ?
Il se prend pour qui ?

Je lui adressais un regard noir, préférant ne rien répondre, et me levais en même temps que Madame Benetteau pour quitter le bureau.
Je montrais plus de respect à cette dernière que je saluais poliment avant de quitter son bureau, l'autre crétin sur mes pas, à scander mon prénom.

ODRAZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant