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Marchant dans les rues de Paris, en direction du centre commercial dans lequel mes amis m'avaient donnés rendez vous, je comptais mes pas, tentant d'oublier l'issue catastrophique de l'après midi.

J'avais quitté l'appartement d'Armelle presque instantanément après avoir reçu le message de Nathan et lui avoir indiqué que je ne rejoignais pas Ken. Après le départ de ce dernier, je n'avais que peu discuté avec ma soeur, cette dernière préférant toujours l'autorité à la discussion, n'ayant donc pas voulu reparler de toute cette histoire après le départ de mon nouvel ami et ayant préféré me menacer de me retirer mes outils de peinture en cas de contact avec mon ami.

Tout ça m'avait donc un peu déprimé, surtout après avoir compris qu'au final, Armelle avait peut être raison, et que j'avais pas grand chose à faire avec d'autres personnes que Nathan et Lisa.

Apercevant enfin ces deux là au bout de la rue, j'accélérais les pas et face à eux, je m'arrêtais. Ils rigolaient déjà ensemble.

- C'est quoi cette mine déterrée ? Change nous ça tout de suite, on est vendredi c'est censé être le meilleur jour de la semaine, tentais de me rassurer Nathan, posant son bras sur mon épaule.

J'adressais un léger sourire à mes deux amis, rictus peu sincère alors que mon cerveau tourbillonnait encore à plein régime.

Nathan m'attrapait la main, me tirant de force pour suivre Lisa, tandis qu'ils discutaient entre eux et que je restais en retrait.

Un Monop et quelques paquets de chips plus tard, nous étions installer sur un banc d'une vue des plus plaisantes puisque nous nous amusions à critiquer les malheureuses clientes d'un affreux coiffeur au jeu de mot douteux.

- Pourquoi est-ce que toute personne de plus de 50 ans a forcément une coupe à la garçonne colorée d'un rouge dégueulasse ? S'exclamait Nathan, la tête posé sur mes cuisses, retirant de ses lèvres son cône toxique.

Lisa pouffait de rire, attrapant une cacahuète du paquet posé sur ses cuisses.

- Oh ! Nathan s'exclamait, se relevant brusquement de mes cuisses pour observer une femme d'un âge avancé sortir du salon avec une demi-frange. Mais bordel c'est le salon qui les paye pour tester des trucs ou quoi ?

Il n'en fallait pas plus pour que Lisa et moi éclations de rire, nous attirant les foudres des passants.

Nathan était de ces personnes qui égayait une journée, qui chassait les inquiétudes, qui te faisait reconsidérer ton bilan de journée lorsqu'il était mauvais. Armelle ne l'aurait sûrement pas apprécié non plus, sûrement parce qu'il est trop extravagant, mauvais élève, perturbateur et bruyant. Mais elle l'accepterai bien sûr plus que Ken, uniquement parce qu'il n'y a pas une décennie qui nous sépare. Et je m'attachais à Nathan, à ses conneries et à sa bonne humeur.

Les jours passaient et nous nous retrouvions toujours sur ce banc, après le lycée et jusqu'à tard le soir. Armelle, qui ne rentrait pas avant moi, ne se rendait compte de rien, pas même de mon désinvestissement scolaire, ni de mon surinvestissement amical et artistique, puisqu'après les soirées quotidiennes, je passais plusieurs heures à peindre, jusqu'au lever du jour. J'avais utilisé toutes mes économies dans des pots de peintures, des boissons et des cochonneries à grignoter.

J'avais continué de parler avec Ken, durant quelques jours après sa rencontre avec Armelle, et puis petit à petit, nous n'avions plus grand chose à se dire à part se demander comment nous allions mutuellement. C'était difficile d'entretenir un début de lien uniquement par le biais de texto. Ken avait finit par ne pas répondre à un de mes messages, et sans aucunes onces de dramatique, j'avais pris ça pour un point final. Je ne lui en voulais pas, Armelle et les autres avaient raison, comme lorsque certains affirment qu'une relation amoureuse avec un écart d'âge important est impossible, il devait l'être tout autant d'entretenir une relation amical avec ce genre de différence. On ne s'était pas vus depuis plus de trois semaines désormais, et son absence était comblée par la présence de mes amis.

Un soir, Armelle était rentrée bien avant moi.

J'avais passé la soirée avec Nathan et Lisa, une bonne soirée, nous nous étions allongés dans un parc, moi dessinant des croquis, Nathan fumant comme un pompier en observant les passants comme à son habitude, les hommes en particulier selon mes intuitions, et Lisa jouant du ukulélé, assise en tailleur. La fumée de Nathan et son odeur se déposant sur les vêtements et dans les cheveux ne me dérangeaient plus, ces vapeurs, sans même que je les fume, parvenaient à m'inspirer pour mes dessins.

Ce soir là, Armelle était rentrée d'une mauvaise journée je suppose. Elle m'attendait sur le canapé, son regard inquisiteur et son attitude stricte me jaugeant lorsque je passais la porte. Elle avait commencé par me faire remarquer mon odeur de droguée selon elle, puis, alors que mes yeux s'étaient abaissés comme la soumise que j'étais toujours face à elle, elle m'avait dit l'une de ses phrases favorites ces derniers temps :

- Tu ne cesses de me décevoir, Od'.

Mes yeux ne s'étaient pas embués, ma gorge ne s'était pas nouée. J'avais simplement attendu le moment où elle m'autorisait à disposer. Et quand enfin ce moment est arrivé, elle ajouta ce qui me fit frissonner, mes poils s'hérissant, mes yeux se remplissant d'eau et ma gorge se nouant.

- J'ai enlevé tout ton bordel de la chambre. Tant que tu merdes au lycée et que tu rentres en sentant la WEED, pour toi la peinture c'est fini, elle disait, faisant tournoyer son vin rouge dans son verre à pied.

Je me précipitais alors dans ma chambre, trébuchant presque sur le tapis rouge du couloir, me rattrapant au mur à l'aide de mes bras mais laissant une unique larme s'écraser au sol. Craignant de découvrir ce que ma sorcière de soeur avait fait, je ne prenais pourtant pas de temps pour me préparer mentalement et ouvrait en grand la porte.

Il n'y avait plus rien, si ce n'est que mon lit, mon tapis et mon bureau.
Les pots, qui m'avaient ruiné et qui quelques heures auparavant jonchaient le sol, avaient disparus.
Les toiles, qui étaient posées a même le sol, avaient disparues.
Ma palette de peinture n'était plus ouverte en bazar sur le bureau laissant entrevoir mes nombreux pinceaux. Elle aussi avait disparu.

Et lorsque je soulevais les yeux, sentant une odeur de peinture fraîche dans la chambre, sachant pertinemment que ma soeur avait cherché à m'achever, je n'observais qu'un plafond neutre, blanc, vide.

Mon art avait disparu.

ODRAZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant