Traçant ma route dans les couloirs du lycée, Ken sur mes pas, m'appelait en essayant d'être discret, et moi, je ne voulais qu'une chose : fuir et retrouver mes amis.
Ses Air Force couinaient sur le sol ciré des couloirs, me permettant de jauger la distance que j'imposais par mon rythme. Mais ses jambes, plus grandes que les miennes, le portaient rapidement à moi, à mon plus grand désarroi.- Tu peux t'arrêter s'teuplait ?
Je ne répondais pas, bien décidée à franchir la porte de sortie qui n'était plus qu'à quelques mètres maintenant.
En fait, Ken m'avait rendu un beau service. Doté d'atouts physiques qui lui permettaient de charmer les femmes de son âge, et même les plus vieilles parfois, et d'un joli phrasé pour parfaire son ensorcellement, il avait fait oublier à Mme Benetteau l'aspect loufoque de la situation. Elle ne m'avait même plus interpellé pendant l'entretien, se contentant de déballer mes problèmes à Ken. Elle n'avait même pas eu l'air d'apercevoir les regards en coin que nous nous lancions quand elle le questionnait sur moi ou sur ma soeur, ni mon pied qui écrasait le sien quand il évoquait les remontrances imaginaires après mes mauvaises notes.
Bref, en soit, Ken avait géré.
Mais maintenant, je connaissais le sentiment que je détestais le plus : l'obligation de reconnaissance et de remerciement.
Comme s'il était toujours là quand il le fallait, j'avais l'impression que ce type jouissait de l'idée d'être utile à mon égard. Et moi, je souffrais à l'idée de dépendre de ses actions, ou pire, devoir lui en témoigner.
Voyant que je ne m'arrêterai pas, il finissait par m'attraper le bras, me faisant me retourner vers lui de force, au milieu du couloir.
- De rien, non ?
Voilà, qu'est ce que je disais ?
D'un geste brusque accompagné d'un souffle exaspéré et d'un regard noir adressé, je me retirais de son emprise et poussais la lourde porte en métal, retrouvant le frais extérieur.
Mais Ken, qui semblait ne pas avoir été assez complimenté pour ses actions, me suivait de près et, en se plaçant devant moi, me forçait à m'arrêter à nouveau.Bordel, lâche moi, je vais imploser.
- Ok, Ken. On va faire ça rapide, comme ça, toi comme moi, on repart dans nos p'tites vies, moi avec mes potes et toi avec les tiens. Il se reculait légèrement, décollant nos corps pour mieux me regarder lui parler, sûrement un peu impressionné par mon discours. Et oui Ken, comme tu l'as dis, je ne suis plus une enfant. Je te remercie de m'avoir sauvé la mise ce soir, t'es content ? T'as fais ta bonne action de l'année ? Tu t'es racheté une conscience ?
Je laissais un petit silence, espérant qu'il imprègne mes paroles dans sa mémoire, et préparant le final de mon discours sanglant ayant pour objectif d'en finir avec son envie de m'aider.
- Écoutes, je t'ai rien demandé. Si tu veux te sentir utile inscris toi dans une assoc' mais arrête de me faire chier, d'accord ?
Il fronçait les sourcils et me regardait m'éloigner.
Mais sans que je ne comprenne comment, j'étais à nouveau forcée de me retourner par deux gros bras, et mon regard tombait à nouveau sur le bouc approximatif de Ken.- Tu crois quoi en fait ? Que je fais de la charité ? Que tu me fais pitié ? La vérité Odraz, tu me fais réellement pitié. Tu te caches derrière tes grands mots là, ton attitude d'ado de merde, à me dire qu'on se connaît aps'. Oh, ça te ferait trop chier d'avouer que t'as besoin d'aide ou-
Je cherchais à le couper, déjà pour lui dire que,non, je n'avais pas besoin d'aide, et pour faire redescendre la pression en moi.
- Non ferme là, laisse moi parler maintenant, il pointait son doigt sévère sur moi, me faisant immédiatement fermer ma bouche et baisser les yeux, par je ne sais quel pouvoir. Écoutes moi bien, je vais pas te lâcher. D'accord, on ne se connaît pas vraiment, on est différent et tu fais semblant de me détester. Mais je sais ce que tu vis, et je sais de quoi tu as besoin, donc tu vas me laisser t'aider putain. Sa voix se radoucissait et il replaçait sa casquette comme dans un geste compulsif. Odraz, j'ai vécu la même chose que toi, moi aussi je me suis retrouvé sans personne à part mes potes pour me porter, à dormir à droite à gauche, à mentir à tout le monde, à dire à ceux qui voulaient m'aider que j'en avais pas besoin. Et j'ai eu la chance d'avoir quelqu'un qui ne m'a pas laissé le choix, qui m'a fait comprendre que ce n'était pas ma faute si j'en étais arrivé là, que j'avais des moyens d'arranger les choses, que je pouvais être heureux. On l'a fait pour moi, Odraz, et aujourd'hui, je peux le faire pour toi aussi. Et je sais ce que tu vas penser maintenant. Tu vas croire que je fais ça uniquement parce que je me sens redevable et chanceux et que par pitié pour toi, je vais faire la même chose pour gonfler mon ego. Sincèrement t'aurais un peu raison de le penser, je me sens chanceux et redevable. Toi, t'es là, personne t'aide et tu ne demandes d'aide à personne, tu galères en silence, t'es triste en silence et pourtant c'est tellement bruyant que ça se voit même en te croisant tous les trois mois.
Un long silence venait clore ses mots. Il se contentait de sortir une cigarette, comme pour se détendre et il tirait fortement dessus.
Moi, je me balançais d'un pied à l'autre, cherchant à supporter le froid de l'extérieur et le chaud dans mon coeur, les deux étant aussi désagréable l'un que l'autre.Pourtant, je brisais le silence, comme pour lui montrer que j'étais là pendant son discours, j'avais entendu.
- Comment t'as su pour le rendez-vous avec Mme Benetteau ?
Il esquissait un léger sourire en coin dont il avait le secret, et pointant quelque chose dans mon dos d'un coup de menton.
Je me retournais et tombais sans surprise sur Nathan, accompagné de Lisa, derrière la vitrine de notre café favori. Ils semblaient n'avoir rien manqué de l'échange avec Ken et faisaient de grands gestes pour le saluer.- Je vois...Tu me fais tirer un peu s'teuplait ? Je lui demandais, ayant besoin de me détendre et de couper ce silence qui commençait à être gênant.
Ma question semblait le surprendre à tel point qu'il avalait de travers sa bouffée de nicotine et toussait, me regardant de ses yeux bruns écarquillés.
- T'es malade ou quoi toi ? A la limite je t'offre un chocolat chaud mais jamais une clope.
Et je répondais à ça par un sourire, un sourire sincère qui répondait plutôt à son long discours.

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ODRAZ
Fanfic« - Qu'est ce que tu me veux Ken ? - Qu'est ce que je te veux Odraz ? Tu dors à droite à gauche, tu fumes de la weed, tu lâches les cours et tu me demandes ça ? - Mais tu te prends pour qui ? - Pour quelqu'un qui s'inquiète un minimum pour toi ? P...