La sonnerie annonçant la fin de notre cours d'économie résonnait et me tirait définitivement du pseudo état de somnolence dans lequel j'étais.
Les autres élèves quittaient uns par uns la salle, parfois sans même accorder un regard à Madame Benetteau, qui rangeait silencieusement ses affaires dans sa mallette de prof'. D'habitude, j'étais bien la première à me précipiter vers le couloir pour quitter le lycée et retrouver mes amis. Ce soir-là pourtant, mon corps se levait presque au ralenti de ma chaise, mes doigts replaçaient chaque crayon dans ma trousse.
Nathan, qui avait déjà tout jeté dans son sac, m'attendait debout près de ma table, la mâchoire mastiquant son éternel chewing gum fruits rouges, le pied tressautant d'impatience.
- Bouge toi, putain, t'as un date qui t'attend, il me lançait.
Je ne répondais même pas à ses attaques puériles, privilégiant un regard noir bien adressé.
- Bon, je t'attend dehors, je vais fumer, et il quittait la salle, me laissant seule en présence de notre professeure qui n'hésitait pas à en remettre une couche, à son tour.
- Odraz, dépêche toi, j'aimerai fermer la classe, me sortait de mes pensées Mme Benetteau. T'es la première à faire n'importe quoi dehors d'habitude.
Décidément, ils avaient décidés de tous me faire chier le mauvais jour.
Derrière son faux air sévère, notre professeur d'économie était certainement la plus humaine de notre corps enseignant. Perchée sur ses demi-talons, habillée de son tailleur, elle patientait, le corps accoudé à l'encadrement de la porte.
- Pardon, je me dépêche, Mme Benetteau.
Je m'apprêtais à quitter la salle lorsqu'elle m'interpellait à nouveau, me faisant me retourner brusquement.
- Il y a longtemps que je n'ai plus rencontrer tes parents pour tes notes, Odraz.
- Bah, vous savez bien, mes parents sont à l'autre bout du monde. Si vous souhaitez les rencontrer ça risque d'être compliqué. A moins d'un visio, à la limite, je répondais, haussant les épaules et baissant le regard, gênée de la situation.
Elle laissait planer un silence, sûrement le temps de se souvenir de ma situation familiale. Puis, elle m'accordait ce regard de mi-compréhension, mi-sévérité, laissant transparaître un peu de sa vraie nature qu'elle cherchait tant à masquer devant ses élèves pour ne pas se faire dépasser. Mme Benetteau était profondément gentille.
- Alors, c'est ta soeur que je devrais rencontrer, non ? Pourtant, elle ne s'est pas inscrite sur les créneaux que je vous avais demandé de transmettre à vos parents pour la dernière réunion.
- Ah, c'est curieux, trifouillant mon sac pour trouver mettre la main sur mon téléphone qui avait vibré déjà deux fois.
Dégainant mon téléphone, il affichait déjà 2 messages non lus, du même destinataire.
« De Ken, reçu à 17h43,
Je suis dans le café en face du lycée »
« De Ken, reçu à 17h58,
Je t'attend depuis 15 minutes, tu fous quoi ? »
Je fermais les yeux et soufflais un bon coup, fatiguée d'avance de ce qui m'attendait. Nous étions Lundi, le fameux Lundi, et Ken m'attendait déjà dans ce café, pour « qu'on puisse discuter », selon lui.
Je n'étais clairement pas l'unique responsable de mon retard. Ma professeur d'économie avait déjà prolongé le plaisir de son cours quelques minutes après la sonnerie, puis ma lenteur extrême et ma conversation actuelle avec Mme Benetteau n'avaient rien arrangées. En bref, on pouvait dire que la principale responsable de mon retard, c'était elle, non ?
Je rangeais mon téléphone, essayant de précipiter mon entrevue avec Mme Benetteau pour ne pas aggraver mon cas.
- Je vais lui donner les dates, Mme Benetteau. Il faut que j'y aille maintenant, à la...
- Je veux vous voir toutes les deux le 3 janvier, à la rentrée. Elle marquait un temps d'arrêt comme pour constater l'effet de massue que sa phrase avait provoqué chez moi. J'ai besoin de lui parler de tes difficultés, Odraz, tu es une bonne élève, je ne veux pas que tu continues de décrocher sans qu'on ne s'en inquiète.
- C'est qu'elle travaille beaucoup, et je ne...
- Non. Elle me coupait à la fois dans ma parole et surtout dans ma recherche de mensonge. Ce sera le 3 janvier, Odraz, je ne te laisse pas le choix, tu as deux semaines pour t'organiser avec elle.
J'acquiesçais silencieusement, comme vaincue, et me retournais pour m'éloigner de sheitana, déjà en train de penser à un stratagème pour m'éviter des problèmes.
- Odraz, elle me nommait distinctement, me faisant m'arrêter dans mes pas alors que je tentais de fuir la conversation et que j'étais déjà à quelques mètres d'elle. Je sais que les vacances de Noël arrivent à grand pas. C'est normal que les élèves décrochent un peu, entre le bac blanc et les vacances. Mais toi, je crois que tu as décroché bien avant, pas vrai ?
Elle voulait m'achever ou quoi ?
Je ne répondais pas, me contentant de baisser la tête, comme honteuse d'être devenue l'élève discrète mais absente, pas assez douée pour être dans la norme, pas assez en échec pour alerter. Transparente.
Jusqu'à maintenant.- Tu ne vis plus chez ta sœur ? Elle me questionnait gentillement, ses fesses se posant sur le bureau en bois, adoptant la position typique du prof' face à l'élève.
- Ne le prenez pas mal, Mme Benetteau, mais j'ai pas vraiment envie d'en parler avec vous, je tentais d'esquiver, grimaçant de malaise.
- Est-ce que tu en parles à quelqu'un, au moins ?
- À mes amis, oui, je répondais en haussant les épaules après un court temps de réflexion.
Elle semblait ricaner silencieusement, expirant bruyamment, son regard toujours porté sur moi.
- Je te parle d'adulte. De personnes responsables, pour t'écouter et t'aider.
- Le problème des adultes c'est qu'ils s'inquiètent trop vite car ils ne me font pas confiance.
Elle se retournait enfin, fourrant son classeur dans son sac de prof', et sortait enfin de la classe en la verrouillant, avant de se retourner une dernière fois vers moi.
- Ils ont sûrement raison, Odraz. Prend soin de toi, et tiens jusqu'au bout de l'année, au moins.
Elle tournait les talons et s'en allait, le bruit de ses escarpins résonnant dans le couloir désormais vide de l'étage.
En soit, dans mon inconscient très, très, profond, j'avais bien conscience qu'elle avait raison.
Me confier à Nathan, Lisa, ou même Adam ne m'amenait pas souvent à penser des solutions responsables. Avec eux, c'était léger, et bien que j'étais sûre que chacun de leurs conseils visaient mon bien être, ça ne voulais pas forcément dire que c'était toujours sain, légal et mature.
Mais, avec eux et à travers ce quotidien sans trop de règles, j'oubliais un peu ma tristesse, le manque de mes parents, de Léo, ma dispute avec Armelle, mon manque de repères dans cette ville que finalement, je ne connaissais pas, et ma tristesse majorante.De toute façon, j'arrivais rapidement à m'éloigner du discours moralisant de ma professeur car comble de l'ironie, un élément de ma situation actuelle me revenait en tête, clôturant le sujet : je n'avais aucun adulte à qui en parler.
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ODRAZ
Fanfic« - Qu'est ce que tu me veux Ken ? - Qu'est ce que je te veux ? Tu dors à droite à gauche, tu fumes de la weed, tu lâches les cours et tu me demandes ça ? - Mais tu te prends pour qui ? - Pour quelqu'un qui s'inquiète un minimum pour toi ? Putain...