Épisode 9

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Les rideaux sont tirés, mais le soleil de mars les traverse et éclaire vaguement la chambre. Le beau tailleur vert repose sur le plancher, près des sous-vêtements en désordre. Ariane est étendue sur son lit comme une fleur desséchée.

Ses livres scolaires sur son bureau lui rappellent les travaux à faire, mais la sève de la fleur s'est évaporée. Ariane a tellement peu d'énergie qu'elle en a mal au cœur.

Elle regarde son téléphone. 11h02.

Une seule activité l'attire. Se promener sur le chemin où elle ne doit plus aller, plonger dans la mer empoisonnée. L'envie d'Ariane, c'est un monstre pervers qui lui chuchote de le suivre. Ariane en a discuté avec sa psy et a promis de résister. Mais le monstre l'appelle.

Elle ferme les yeux et se concentre sur la sensation de l'air dans ses narines. Elle se remémore les rues de Lisbonne, à l'été précédent, les maisons rouges et blanches. Les trucs de la psy ne fonctionnent pas et d'autres images s'imposent. Marais infestés de moustiques, chiens morts flottants dans l'eau stagnante, chaleur insupportable. Des fourmis rouges qui mangent un morceau de chair sanguinolente.

Si seulement une fée pouvait apparaître, la prendre dans ses bras et lui faire cadeau de sa lumière. Si seulement les anges existaient. L'image du bodyguard se forme. Sa musculature développée, ses lèvres attirantes, sa mâchoire carrée. La dureté de son regard fait penser au canon d'un pistolet.

L'adolescente prend son téléphone et envoie un texto à sa psy: « J'ai besoin d'aide. »

La décoration de la chambre a été conçue par la même équipe que la cuisine et le salon. Meubles fonctionnels et modernes, design épuré, couleurs parfaitement agencées où dominent le violet et le gris. Assise dans la bibliothèque, parmi les livres de Fantasy, une poupée aux grands yeux regarde Ariane avec étonnement.

Le monstre l'emporte.

Ariane sort de son lit et tire des rayons de la bibliothèque un gros roman démodé, acheté pour un dollar dans une bouquinerie: Les gens de Mogador. Le livre est creux. L'intérieur des pages a été découpé. Ariane en tire des aiguilles, une lame de rasoir et un petit couteau. Elle prend des kleenex, un vieux tee-shirt et la plus longue aiguille.

Elle enlève le haut de son pyjama et entoure son bras gauche du tee-shirt.

En soupirant, elle plonge l'épingle près de son épaule.

— Aaaah!

La douleur est fulgurante. Ariane mord ses lèvres tandis que le sang coule sur sa peau et tache le tee-shirt. Elle enfonce encore l'épingle dans sa chair.

Des larmes viennent à ses yeux. Ariane a envie de ruer, de se tordre, de crier, de se jeter dans le mur. Les échos de la douleur vibrent en elle et c'est insupportable. Elle veut finir, elle veut que ça cesse, et pourtant elle prend la lame de rasoir.

Quand elle n'en peut plus, elle la lâche. La lame ensanglantée tombe sur le tapis violet et le tache.

Le sang imbibe le tee-shirt. La douleur tourne en brûlure.

Deux heures plus tard, Ariane est encore au lit. Elle a désinfecté et pansé ses blessures et lit un roman: Le pacte des Marchombres. S'imaginer dans un autre univers la réconforte.

Près d'elle se trouve une boîte de biscuits. Elle en prend un, le met dans sa bouche et le laisse fondre. C'est un whippet et elle savoure le goût de guimauve et de chocolat.

C'est son déjeuner.

« Tu es habitée par une tendance à l'autodestruction, a expliqué la psy. Inconsciemment, tu désires être malheureuse. » La thérapie va guérir Ariane, mais pour l'instant elle ne progresse pas. Elle n'a pas hâte de raconter à sa psy qu'elle s'est encore mutilée.

Le téléphone vibre. C'est David.

— Mon amour, dit-il.

Ces mots changent tout. Penser à ce cœur qui bat pour elle, comme celui d'Ariane bat pour lui, ramène ce qu'elle avait perdu. Le soleil. Le sel et les épices qui donnent du goût à la vie. Ariane pense aux cloches qui sonnaient lors du mariage de sa cousine, à la pluie de confettis sur les mariés.

— Je t'aime, dit-elle.

David devait aller voir un film ce soir-là avec ses amis. Les plans ont changé.

— Les lettres anonymes inquiètent de plus en plus mes parents. Je n'ai pas la permission de sortir.

Comme ils sont coincés à la maison, sa sœur et lui organisent un party.

— Tu dois absolument venir, dit-il.

Ariane pense au beau garde du corps. B. Juste ce son est agréable.

— Je ne sais pas si ça me tente. Je suis fatiguée.

— Tu ne peux pas manquer ça. Ça va être incroyable. Ensuite, si tu en as envie, tu peux dormir avec moi.

Ça recommence. Il veut faire l'amour et devient de plus en plus impatient. Ariane n'est pas sûre d'être prête. Il a 25 ans et elle en a seulement 17.

— Tous ces gardes du corps autour de vous, dit-elle. Ça me stresse.

— Tu n'as aucune raison de réagir comme ça. Ce sont nos employés.

— Est-ce qu'ils vont surveiller le party?

— Évidemment.

— Celui qui t'accompagnait hier, demande Ariane. Est-ce qu'il est là?

— B? Pas en ce moment. Pourquoi?

— Il me fait peur.

David se met à rire.

— Ce sont les crétins qui nous envoient les lettres qui devraient avoir peur de lui. Et les deux voleurs. J'aimerais tellement qu'ils reviennent et tombent sur lui.

Le souvenir du moment où leurs yeux se sont croisés, devant le restaurant, ramène les émotions. Excitation, trouble dans son corps, angoisse.

Une impression de danger gagne Ariane.

— Je préfère ne pas venir, décide-t-elle. Je suis trop fatiguée.

Pour couper court à la conversation, elle ajoute:

— Si je change d'avis, je viendrai.

— Je vais m'arranger pour ça, dit David.

En raccrochant, elle se demande pourquoi le garde du corps l'obsède. Pourquoi ne pas être comblée par le gars qu'elle aime et avec qui elle sort?

C'est le danger, réalise-t-elle. La violence qui émane de B et qui pourrait s'abattre sur Ariane. Comme un papillon de nuit, elle est attirée par le feu.

« C'est ma tendance à l'auto-destruction qui se manifeste, pense-t-elle. Inconsciemment, je veux détruire ma relation avec David. »

[suite dimanche le 31 juillet]

Protection dangereuse [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant