- Comme tu as pu le voir, dit B, je suis proche de ma tante. Mon oncle et elle se sont beaucoup occupés de moi quand j'étais enfant, parce que mes parents n'avaient pas le temps et qu'ils sont cons. Maintenant, c'est l'inverse.
Il regarde devant lui, vers le gâteau entamé, les verres de cognac et les chandeliers allumés, et il sourit.
- Ma tante était une artiste. Une excentrique. Mon oncle avait beaucoup mieux réussi. Il était prof à l'université Laval et son intelligence frôlait le génie. C'était mon idole. Il me donnait des cours privés et transformait la science en jeu. Grâce à lui, je suis moi-même un as en physique, en mathématiques et en chimie. Pour l'instant, ça me sert surtout à fabriquer du matériel d'espionnage et à lire les données confidentielles dans les ordinateurs de PLN.
- Si tu revenais à ta tante au lieu de me raconter comme tu es bon, dit Ariane.
B sourit avec arrogance.
- À mes yeux d'enfant, mon oncle était l'être le plus extraordinaire de la planète. Ce que je n'avais pas réalisé, c'est ses difficultés sociales. Il n'était pas doué pour interagir avec les gens. Ça ne l'intéressait pas et il trouvait ça pénible. Dès qu'une situation le stressait, il bégayait. Il était distrait et n'avait aucune assurance. Ses collègues ne l'aimaient pas et il n'avait pour ainsi dire pas d'ami. Mais, avec moi, il se transformait.
Le criminel porte son verre de cognac à ses lèvres et il étudie Ariane, comme s'il tentait de deviner la manière dont elle va réagir. L'adolescente détourne le regard.
- Un jour, il nous a annoncé avoir eu l'idée d'une invention. Il s'est mis à y travailler sans cesse, à acheter du matériel hors de prix, et il a fini par prendre un congé sans solde de l'université pour se consacrer à ses recherches. Personne n'y croyait, sauf moi. Mon oncle était un génie. S'il pensait que son invention avait le potentiel de bouleverser la planète, alors c'était vrai.
B reprend son souffle. Ses lèvres tremblent légèrement, ce qui étonne Ariane, et puis elle comprend. Une fournaise d'émotions l'habite et son histoire va la faire exploser. Les émotions vont être projetées dans tous les sens, brûler et détruire.
- Quelques années ont passée et mon oncle est devenu de plus en plus perturbé. Il s'est enfoncé dans les dettes et dans le travail. Ma tante a essayé de le raisonner, mais elle-même n'a jamais été un modèle de santé mentale.
- J'ai vu ça, dit Ariane.
- Les travaux ont abouti. Mon oncle a fait breveter son invention, puis, à la surprise générale, il a réussi à intéresser une compagnie à la commercialiser. Je ne comprenais pas ça à l'époque, mais commercialiser un produit coûte terriblement cher. De toute façon, mon oncle n'avait pas le caractère pour ça mais pouvait juste être le cerveau de la R et D. Il travaillait, m'a-t-il dit, directement avec le président de cette compagnie, un homme avec qui il avait une très belle relation.
D'un coup, Ariane comprend et la consternation l'envahit.
- Mon oncle était en extase, continue B. Il me parlait souvent du président de la compagnie. Un homme dur en affaires, mais qui l'admirait et qui admirait son intelligence. Un homme qui travaillait énormément pour que sa compagnie perce le marché mondial. Un homme qui voulait réussir à tout prix, comme lui.
Le kidnappeur reprend son souffle. Ariane se sent étouffer et elle réalise qu'elle a cessé de respirer. Ses épaules lui font mal, les muscles sont crispés.
- Malheureusement, continue B, le président lui a annoncé qu'il allait commercialiser l'invention seul. Il voulait acheter le brevet. Mon oncle a été bouleversé et a refusé de le vendre. Alors le président l'a volé.
- Comment est-ce qu'on peut voler un brevet? demande Ariane.
- Quand on est un excellent voleur, comme le président de cette compagnie, qui est une crapule intégrale, on s'adapte aux faiblesses de sa victime. Mon oncle était vulnérable. Ses recherches lui avaient coûté une fortune et il était fortement endetté. Anxieux social, il ne supportait pas les conflits. Le président lui a montré des faux papiers selon lesquels mon oncle avait cédé le brevet pour une somme ridicule. Mon oncle s'est énervé et le président l'a fait jeter dehors en le traitant de minable. Ça a été la fin de leur « belle relation ».
B serre les mâchoires et regarde Ariane comme si elle était la crapule intégrale. Ses yeux sont des tisons de haine et sa bouche se tord comme une cicatrice.
- Mon oncle a juré qu'il allait les poursuivre. Et moi, qui avais quinze ans, je savais qu'il allait réussir. Parce que mon oncle était suprêmement intelligent et que la justice était de son côté. Je ne voyais pas ses faiblesses. Il n'a même pas été capable de se trouver un avocat. Au lieu de se battre, il s'est chicané avec ma tante, est tombé en dépression et il est devenu incapable de quitter son lit. Il avait été humilié et il s'était ruiné.
- C'est lui, le pendu de ton tatouage, dit Ariane. C'est à cause de lui que tu as joué à la roulette russe.
- À tous les jours, en revenant de l'école, j'arrêtais chez mon oncle et j'essayais de lui remonter le moral. Il était de plus en plus déprimé mais ça lui faisait plaisir de me rencontrer. Lui et moi, on avait une relation spéciale. Un jour, il n'était plus dans son lit. J'ai trouvé son corps au sous-sol.
Ariane sent son âme se déchirer. La laideur de cette histoire est insupportable.
- Je suis désolée.
B saisit son verre de cognac de sa main tremblante et le vide d'un trait, puis plonge ses yeux dans ceux d'Ariane.
- Tu comprends, maintenant, pourquoi je n'ai rien à me reprocher et que je suis capable de me regarder dans le miroir?
Ariane se tait.
- As-tu compris le lien avec toi? continue-t-il.
- Non, répond-elle, même si elle a compris depuis un moment.
Mais ça n'a rien à voir avec elle. Son ravisseur est fou.
La voix de B se charge de 10 000 volts et le regard devient dur comme l'acier des balles de fusil.
- L'invention de mon oncle, c'était une nouvelle sorte de fibre optique. La compagnie qui devait l'aider à la commercialiser s'appelle PLN et l'homme qui l'a volé et l'a poussé au suicide est le père de ton chum, Charles Poulin.
Voilà, vous savez maintenant pourquoi B a manigancé tout ça. Que pensez-vous de lui? A-t-il raison de mépriser Ariane et de la critiquer comme il le fait?
[prochain épisode: dimanche le 20 novembre avant le lever du soleil]
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Protection dangereuse [Terminée]
Mystery / ThrillerDes deux dangers, la mafia russe n'est pas le pire. Ariane a 17 ans et sa vie ressemble à un conte de fées. Elle est très jolie, sa famille vient de pénétrer le milieu des ultra-riches et elle sort avec l'héritier d'une des plus grosses fortunes du...