La sensation des mains de Julien sur ses bras est électrique. Ariane se débat, panique, elle crie:
- Lâche-moi! Je vais te donner le pendentif!
Son ennemi obéit. Il recule et contourne la table à café*. Ariane s'appuie sur les coussins du divan et, lentement, elle reprend son souffle. Elle a envie de sentir de nouveau les mains de Julien et repousse cette idée avec énergie.
- D'abord, dit-elle, tu vas m'écouter.
Julien déborde de jeunesse et de puissance. Ariane voudrait se couler dans ses bras comme on se coule dans les flots d'une rivière, au risque de se noyer.
- Tu n'as pas le droit de torturer et tuer Charles Poulin, dit-elle. Tout le monde mérite un procès avec douze personnes impartiales pour les juger, même les pires criminels de la Terre.
- Œil pour œil, dent pour dent.
- Pourquoi est-ce que M. Poulin devrait mourir, alors? Je ne veux pas défendre ses actions, mais il n'a pas tué ton oncle. De toute manière, je suis contre la peine de mort. Écoute-moi, Julien.
Elle se lève et contourne la table à café à son tour. Elle veut prendre son bras mais, au dernier moment, se retient.
- Ta tante a encore le brevet. Vous pouvez poursuivre PLN et les forcer à négocier. Et je peux vous aider.
- Avec leurs avocats, une poursuite va prendre des années. Dix ou quinze, peut-être.
- Oui, mais toi, tu auras une vie normale!
- Tu ne comprends pas, dit-il.
Elle s'est trop approchée. À peine cinquante centimètres de vide les séparent.
- Tu as raison, dit-elle, je ne comprends pas. Au lieu d'obséder sur la vengeance, tu pourrais avoir une vie merveilleuse et être heureux. Avec ton intelligence, tes talents... Tu sais, je m'implique dans Greenpeace et on aurait tellement besoin de quelqu'un comme toi. Tu pourrais être le Robin des bois de l'écologie, frapper les multinationales, embarquer la population, leur démontrer qu'on court vers le désastre et que la société doit changer... Si tu veux, je peux te faire entrer dans notre groupe.
Julien hausse les sourcils.
- Tous les policiers de Montréal me recherchent et toi, tu veux me faire entrer dans Greenpeace?
- Si tu te tiens tranquille un moment, ils vont passer à autre chose.
Il secoue la tête de droite à gauche, dans un mouvement de déni, et soupire.
- Tu me décourages.
- Pourquoi?
- Parce que tu n'es pas comme la blonde de David devrait être. Une Myriam, qui ne pense qu'à son nombril, ou plutôt à son clitoris, et méprise les gens ordinaires. C'est facile d'être tough avec un déchet comme elle. Toi, tu veux sauver la planète, tu es gentille avec ma tante et tu essaies de m'aider même si je t'ai kidnappée. Comme si c'était possible de me sauver.
- Oui, c'est possible!
- Tu viens de donner un fou rire à ma tante. C'est le premier depuis des années, je crois.
- Quand on essaie d'améliorer les choses et de s'entraider au lieu de vouloir tout détruire, dit-elle, la vie devient moins difficile.
Julien serre les mâchoires et son visage se ferme.
- Je t'ai écoutée. Donne-moi le pendentif, Ariane.
L'adolescente ne bouge pas.
- Oblige-moi pas à le prendre de force, continue-t-il.
- Tu ne m'as pas expliqué de quelle maladie souffre ta tante. Pourquoi est-ce qu'elle tremble et qu'elle est confuse? Parkinson?
- Ce sont les effets de ses médicaments.
- Elle doit arrêter de les prendre!
- Je sais, mais elle est accro. Les compagnies pharmaceutiques sont les pires pushers, ils créent des produits qui rendent les gens dépendants et les médecins sont leurs complices. Donne-moi le pendentif.
Ariane le porte encore au cou. La petite boule de plastique touche à sa poitrine.
- Pourquoi est-ce qu'elle a commencé à les prendre? demande-t-elle.
- Elle était trop déprimée après le suicide de mon oncle.
- Et toi, tu en prends?
- Les médecins m'en ont prescrit mais j'ai refusé d'y toucher.
Julien fait mine de lever les bras et elle recule. Il avance de la même distance et une douce émotion la gagne.
- Tu aimes bien ma tante? demande-t-il.
- Oui.
- Je crois qu'elle t'aime bien aussi. Te fréquenter est bon pour elle. Avec ses difficultés, elle est très seule.
- C'est triste.
- Mes collègues se moquent de moi à cause des vêtements que Myriam porte quand je viens chez eux, continue-t-il. Ils ont tous compris qu'elle veut coucher avec moi. Je leur dis: « C'est de plus en plus difficile de me retenir » et ça les fait rire. Ils ne comprennent pas de quoi je parle.
Ariane sent un malaise la gagner.
- Tu me l'as déjà dit.
- Je ne me retiens pas de baiser avec elle. Je me retiens de sortir mon gun et de lui tirer dessus, en plein visage, sur ses gros seins, dans son ventre, pour la voir tomber et pour l'entendre hurler, sentir l'odeur de son sang, et ensuite abattre son frère, sa mère et son père.
- Mais tu préfères les kidnapper et faire durer le plaisir.
- Eh oui.
Les yeux et la bouche de Julien s'imprègnent de méchanceté. Ariane se remémore les tortures qu'il leur réserve et elle a mal au cœur. Personne ne va sortir indemne de cette histoire.
Elle n'a plus envie qu'il la touche. C'est un criminel et il va la détruire.
- Tu es fou, dit-elle. Oui, tu peux te venger, mais c'est mal. Et moi, je vais être obligée de te dénoncer parce que tu m'as tout raconté.
-Pauvre petit poussin.
-Tu vas être ta première victime. Au lieu de vivre une belle vie, tu vas la perdre en prison. Imagine-toi dans dix ans, derrière les barreaux d'un pénitencier à sécurité maximum, entouré de criminels et de pervers. Tu ne peux plus rencontrer tes amis, aller au restaurant, fêter, te promener sur la rue, ou juste être chez toi et faire ce que tu veux.
L'émotion brûle sur le visage d'Ariane. L'envie d'un contact réapparaît, plus forte. Soigner les blessures de Julien avec la vie.
- En prison, aimer une femme est impossible, continue-t-elle. Qu'est-ce qu'il y a de pire qu'une vie sans amour? Et ça, c'est si tu survis. Imagine-toi mort. Quand tu as essayé de kidnapper Charles Poulin, tes collègues t'ont tiré dessus. Tu es allongé, ton sang coule sur le plancher, ta vie qui aurait pu durer soixante ans ne durera même pas soixante secondes...
Finir ainsi est lamentable. La gorge de l'adolescente se serre et ses yeux la piquent. Mais Julien sourit. C'est incroyable! Il se moque de la mort et de la tristesse d'Ariane!
- Donne-moi le pendentif, dit-il.
Devant son insensibilité, l'explication surgit, grosse comme un astéroïde d'un milliard de tonnes qui va s'écraser. Ariane comprend enfin ce que Julien essaie d'accomplir avec sa vengeance, pourquoi il prend tous ces risques et lui a tout raconté. La lumière est douloureuse. Elle le regarde avec effroi et c'est comme si le monde explosait.
*table à café=table basse, de l'anglais « coffee table »
[Eh oui, j'ai réussi à publier mon épisode le jour de Noël comme prévu^^ Je l'avais écrit à l'avance, pour une fois. La suite sera publiée dimanche matin le premier janvier très très tôt. ]
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Protection dangereuse [Terminée]
Mystery / ThrillerDes deux dangers, la mafia russe n'est pas le pire. Ariane a 17 ans et sa vie ressemble à un conte de fées. Elle est très jolie, sa famille vient de pénétrer le milieu des ultra-riches et elle sort avec l'héritier d'une des plus grosses fortunes du...