Épisode 19

1.3K 139 240
                                    

Non non non non, pense Ariane. Ça n'arrive pas. Ce n'est pas possible.

Elle ne peut pas crier. Un morceau de duct tape couvre sa bouche. Ariane se trouve dans le coffre d'une auto, mains et jambes attachées, un sac de tissu sur la tête.

Elle repose sur le dos et ses mains frottent sur le tapis rugueux. Le duct tape pince ses lèvres. À travers le sac, elle perçoit une odeur: hamburger et frites.

Elle sent l'auto ralentir, s'arrêter, elle entend le coffre s'ouvrir. Ses jambes sont libérées. Des mains la saisissent et elle est sortie du véhicule.

Toujours aveuglée par le sac, elle se met debout et chancelle. Ses mains demeurent attachées dans son dos et son coude lui fait mal à hurler.

La lumière la blesse et ses yeux clignent. Les hommes ont retiré le sac. L'un d'eux arrache le duct tape de sa bouche.

- Vous m'avez cassé le coude, pleurniche-t-elle.

- Shut up.

Une forte odeur d'huile règne. Ariane se tient dans un garage en béton, bien éclairé, devant deux hommes costauds. Ils ont retiré leur cagoule. L'un a un gros nez, un visage rond, et semble blasé, comme s'il enlevait des jeunes filles à chaque jour. L'autre est roux. Traits anguleux, menton fuyant, il observe Ariane. Sa bouche se tord et il fronce les sourcils.

Non non non, pense-t-elle encore. Elle respire avec difficulté. La panique.

- Vous vous êtes trompés. Je ne fais pas partie de la famille des Poulin. Ils ne vont jamais payer de rançon pour me libérer.

- Tais-toi et fais comme on veut, dit l'homme au gros nez.

Son français est coloré par un accent slave. Ariane ressent une impression d'irréalité. Elle est bien aux mains de la mafia russe. Ça ne se peut pas, c'est impossible.

Elle n'arrive juste pas à croire qu'il se passe ce qui est en train de se passer.

Les hommes portent du noir: pantalons et manteaux de ski. Celui au gros nez a une quarantaine d'années, le roux est plus jeune et il tient un sac avec l'inscription « Marché Atwater ». L'un de ses yeux est à moitié fermé. Ariane l'a blessé en se débattant. Les hommes échangent quelques phrases dans leur langue, puis le plus jeune rabat avec violence le sac sur la tête d'Ariane.

Elle pousse un cri. Il a empoigné son bras blessé, au-dessus du coude, heureusement.

- L'autre bras, supplie-t-elle. J'ai mal à celui-là.

- Shut up.

Il la pousse vers l'avant et l'autre homme la guide.

- Escalier. Fin d'escalier. À gauche. Tout droit. Encore escalier.

Le roux s'esclaffe. Ariane a trébuché dans la première marche et elle est presque tombée.

Après un autre escalier et quelques pas vers l'avant, ils enlèvent le sac et détachent ses bras.

- Je veux voir un médecin pour mon coude, dit-elle.

- Pas de bruit, dit l'homme au gros nez. Silence total, compris? Si tu fais du bruit, ça va aller très mal pour toi.

Le roux la regarde avec haine. Les hommes quittent la pièce et elle entend les verrous qu'on referme.

Une trentaine de minutes, se dit Ariane. En même pas trente minutes, sa vie a basculé. Elle prend de longues inspirations, puis examine sa cellule. Elle doit trouver comment s'échapper.

La pièce est dépourvue de meubles, à part un matelas sur le plancher et un paravent. Le plafond est incliné comme dans un grenier. Une ampoule brûle.

La porte est verrouillée et paraît solide. Sur le mur opposé, l'unique fenêtre a été bloquée par des planches de bois clouées. Ariane tente de les enlever. Impossible. Les clous sont énormes. Entre les interstices, elle ne voit que du noir.

La pièce ne contient aucune toilette. Seulement un gros seau de plastique, derrière le paravent. C'est immonde.

L'endroit a été préparé pour emprisonner la victime d'un enlèvement. Ça aurait dû être Myriam ou M. Poulin, mais c'est elle.

Qu'est-ce que les hommes planifient?

La panique l'étourdit et elle perd le souffle. Ils vont demander une rançon et M. Poulin ne paiera pas, c'est sûr. Et ensuite? Vont-ils la tuer? Ce sont des fous, les lettres qu'ils ont envoyées le prouvent. Ils ont détruit l'auto, essayé de mettre le feu à la maison. Ils vont battre Ariane et la violer. Le visage anguleux du roux danse dans sa tête. Il se serait vengé si l'autre ne l'avait pas raisonné. Qu'est-ce qui va se passer si Ariane est seule avec lui?

Elle doit discuter, leur expliquer qu'ils ne gagneront pas d'argent, qu'ils peuvent la relâcher, elle ne dira rien. Les murs tournent et elle s'assoit sur le matelas. Des visions apparaissent. Son cadavre ensanglanté, sa tête éclatée, ses cheveux blonds rougis, dans le coffre d'une voiture. Sa pierre tombale. Ses sous-vêtements déchirés. Un pistolet dans sa bouche, puis jeté dans une poubelle. Une serviette blanche qui a servi à essuyer. Un nœud coulant, comme sur le tatouage de B.

Elle est tellement énervée qu'elle va s'évanouir.

Une idée lui vient et l'évidence explose. Ses ravisseurs n'ont pas caché leur visage! Ils n'ont pas peur de son témoignage. Ils vont l'exécuter, c'est la seule explication.

Les larmes coulent sur ses joues. Son cœur cogne, elle tremble. Elle serre ses bras contre sa poitrine, comme pour se réchauffer, et réalise qu'elle ne les sent plus. Ses perceptions se sont engourdies.

Elle se recroqueville sur le matelas et pense à un jardin, des abeilles, des fleurs, un déjeuner dans l'herbe. Tout va bien aller, les policiers vont la retrouver ou les criminels vont la relâcher.

Rien à faire. Elle n'y croit pas.

Alors elle pense à B. Il rêve de s'attaquer aux bandits, elle l'a vu dans l'auto. Il a été dans l'armée et connaît la violence. Lui est implacable et assez fou pour leur tenir tête.

Oui, il est instable et a un côté cruel. Mais il est plus que ça. Il a versé son whisky sur Myriam pour défendre Ariane, elle en est certaine, et, dans l'auto, il était sympathique par moments.

Le souvenir de son agressivité la réconforte. Dans l'auto, il a dit à Ariane qu'elle est belle. Et s'il était amoureux et faisait tout pour la sauver? Elle se raccroche à cette idée. Comme lorsqu'elle était dans le coffre de la voiture, elle s'adresse à lui en pensées: « B. S'il te plaît. Sauve-moi. Je t'aime. Je t'aime depuis la seconde où je t'ai vu et je ne veux pas mourir. »

Mais comment pourrait-il la retrouver? Ce n'est pas impossible. Il peut attendre autour de la maison des Poulin jusqu'à voir des suspects, les filer et trouver la maison. Les ravisseurs d'Ariane sont plus nombreux et ils sont certainement armés. Ils vont se défendre. Les visions de cadavres ensanglantés reviennent. B est mort et Ariane aussi.

Elle se met debout.

- Aidez-moi! Aidez-moi!

Elle hurle des mots, des sons incohérents. Au bout de quelques secondes, la porte ouvre et elle a une surprise. La joie l'envahit. B se tient devant elle et sourit. Ariane va se jeter dans ses bras, mais il dit:

- Soit que tu fermes ta jolie gueule, soit qu'on s'arrange pour que tu te la fermes. Qu'est-ce que tu préfères?

L'univers d'Ariane s'effondre.

[suite dimanche le 9 octobre très tôt le matin]


Protection dangereuse [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant