Épisode 11

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Un court-circuit se produit dans la tête d'Ariane. Les fusibles sautent l'un après l'autre et des pensées sont éjectées dans tous les sens. « Ce n'est pas possible comme il est beau. » « Pourquoi est-ce qu'il me regarde comme ça? » « Qu'est-ce qui se passe? »

B est vêtu d'un manteau d'hiver kaki, mal coupé et de mauvaise qualité, et parait encore plus divin à cause du contraste. Sa tête est nue et son cou puissant. Ariane imagine le reste de son corps, caché par le manteau, les épaules solides, les muscles développés. Dans l'entrée de la maison, sa force physique la trouble. Sans qu'elle comprenne pourquoi, voir cet homme à cet endroit l'affole.

Des idées idiotes lui viennent. Ce qu'il pourrait faire à d'autres. À elle. Ariane tente de reprendre contrôle sur son esprit.

— Je suis venu te chercher, dit-il.

— Pour aller où?

Son visage se crispe.

— Chez David. Au « party ».

Il prononce ce mot avec dédain. Enfin, elle comprend.

— Je me change et j'arrive, dit-elle, oubliant sa décision de rester à la maison.

— Je te donne trois minutes.

Ariane s'immobilise. Pour qui se prend-il? Elle va répliquer une phrase mordante... mais ne trouve rien.

Dans sa chambre, elle pénètre dans le walk in* et cherche quoi porter. Des vêtements qui la mettraient en valeur sans être trop chics et, surtout, sans paraître aguicheurs. Elle passe de très jolis pantalons noirs, un chemisier orange qui va merveilleusement bien avec ses cheveux blonds, quelques bijoux, puis ouvre sa trousse de maquillage.

Elle se maquille avec lenteur, pour montrer à B qu'elle ne lui obéit pas... puis se dépêche. Il serait capable de partir sans l'attendre.

Son reflet dans le miroir lui rappelle les paroles de sa mère: « C'est vrai que tu es mince, mais tu es tellement belle. » Sans être une beauté sublime, Ariane se sait jolie. Si elle pouvait sentir qu'elle l'attire un peu, elle se trouverait moins nulle.

Elle emprunte l'escalier qui donne sur le hall. Le garde du corps attend dans l'entrée et, tandis qu'elle descend vers lui, fière son apparence avec ces vêtements, elle a l'impression de jouer dans un film. Il se tourne vers elle et son visage se tord en une moue désagréable. La déception frappe Ariane. « Quelque chose en moi le repousse » se dit-elle. C'est incompréhensible puisqu'ils ne se connaissent pas. Myriam lui a-t-elle raconté des horreurs à son sujet? À moins qu'il déteste toutes les femmes? Ou tout le monde? Elle va dans la cuisine dire à sa mère qu'elle a changé d'avis.

— Qui est cet homme? demande Caroline.

— Un garde du corps de David.

— Je n'aime pas que tu partes avec lui.

— Il est là pour me protéger, maman.

Ariane passe son magnifique manteau rouge et suit B dans son auto, une Sonata rouillée, proche de tomber en morceaux, mais très propre. Il démarre.

— Je dois aller chercher un collègue qui habite dans Côte-des-neiges, à cinq minutes d'ici. Je te dépose d'abord?

— Pas la peine.

B conduit en silence et Ariane réalise qu'elle s'est mise dans la situation exacte qu'elle voulait éviter.

Un horrible fantasme la ronge. Il va arrêter l'auto, se tourner vers elle et coller ses lèvres aux siennes. Voudra-t-elle le repousser? Juste à y penser, elle est troublée dans les profondeurs de son corps. Elle déteste se sentir aussi vulnérable face à un inconnu, surtout qu'il est tellement désagréable.

Le silence devient insupportable.

— Pourquoi est-ce que David n'est pas là? demande-t-elle.

— Il n'est pas supposé sortir.

— C'est lui qui t'a demandé de venir?

— Non.

— C'est qui, alors?

— David l'a demandé à mon collègue, qui n'a pas osé refuser mais qui était furieux. Nous sommes des gardes du corps, pas des chauffeurs de taxi. Je lui ai offert de le remplacer pour le calmer.

— Merci.

— Inutile de me remercier. Je ne fais pas ça pour te rendre service. En toute franchise, je m'en fous. Je fais ça pour mon collègue. Il était prêt à démissionner, et avec tous les gens que ça prend pour vous surveiller, on ne peut pas se permettre ça.

Il arrête à un feu rouge et fixe la rue avec obstination.

— Je ne comprends pas, dit Ariane.

— Tu ne comprends pas quoi?

— Ce qui se passe. Hier, David est venu au resto avec moi et aujourd'hui il ne peut pas sortir de chez lui?

— Si tu n'es pas capable de comprendre, je me demande si ça vaut la peine qu'on t'explique.

Ariane se détourne et regarde les maisons luxueuses du haut-Outremont. La colère bouillonne.

Elle ne regrette plus d'être venue. Le gars est tellement bête qu'il ne l'attire plus et elle veut juste l'engueuler.

Puis elle réalise que ce n'est pas vrai et une espèce de désespoir la gagne. Elle ne se contrôle plus, sa présence dans l'auto le démontre. Elle a peur, non de lui, mais d'elle-même.

Il tourne la tête vers elle.

Parce qu'ils sont tellement proches, des détails de son physique deviennent évidents. Les légères cernes sous ses yeux, la finesse de sa peau, son nez un peu trop grand, la lourdeur de son expression.

— Tu vis trop dans la ouate, dit-il. Sors un peu de ton milieu, tu vas réaliser que certaines personnes très dangereuses sont prêtes à tout pour voler votre argent. Et quand je dis « à tout », ça veut dire des choses que tu ne peux même pas imaginer. C'était évident depuis le début, mais les Poulin ne comprennent pas vite eux non plus. Juste à penser à ce qui est arrivé à leur auto et à la vaisselle dans la cuisine...

— À leur auto?

Et c'est quoi, cette histoire de vaisselle? Ariane a un choc, comprend tout, et le mécontentement la gagne. David va l'entendre! Elle pose la main sur le bras du garde du corps.

— Arrête de conduire, ordonne-t-elle, et raconte-moi tout ce qui s'est passé depuis le début. Ce qui est arrivé à leur auto, la vaisselle dans la cuisine, et le reste. Je veux tout savoir. Un danger tourne autour de nous, je le sens. Quelque chose se passe. Mais David ne m'a presque rien dit, je ne comprends rien, je ne peux pas me protéger... et ça me fait peur.


*walk in=penderie grande comme une pièce dans laquelle on pénètre pour choisir ses vêtements

[suite dimanche le 14 août]


Protection dangereuse [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant