B stationne son auto dans la rue. Les trois occupants en descendent et longent la grille qui entoure le jardin des Poulin: une haute grille de fer forgé, doublée d'une haie de cèdres.
Un homme surveille l'entrée de la propriété et il salue les deux gardes du corps.
Ariane a beau y être venue de nombreuses fois, la demeure des Poulin l'impressionne toujours autant. Toutes les lumières extérieures sont allumées et les fenêtres éclairées. La bâtisse se dresse comme un roc, en blocs de pierre blanche, illuminée dans l'obscurité, aussi grande qu'une école et plus belle qu'un château.
L'intérieur est aussi impressionnant. Piscine, serre, gym, salle de cinéma, multiples salons... La maison contient dix-huit chambres et encore plus de salles de bain. Les Poulin l'habitent depuis un an et l'ont fait agrandir et rénover après l'avoir achetée.
La nuit est tombée et le froid est sec. La neige recouvre le jardin. Ariane et les deux gardes du corps montent les marches et arrivent à la porte principale, où se tient un homme qui croise les bras. Un murmure de musique provient de l'intérieur de la maison.
- Tout va bien? demande B.
- Il y a eu un incident.
L'homme déplie ses bras et pointe la haie de cèdres.
- Deux types, qui regardaient la maison à travers la grille, se sont enfuis quand on les a vus.
- Ils voulaient sauter la grille, tu crois?
- Ils avaient un sac. Peut-être du matériel pour ça.
- C'étaient peut-être des journalistes, dit B.
- Ils ne seraient pas partis comme ça.
- Des curieux, alors. Ou des amis de David qui voulaient lui faire une blague.
- J'aime pas ça! dit l'homme que B est allé chercher en auto.
Celui-là s'appelle O. Âgé d'une cinquantaine d'années, il est gras, la face rougeaude, les cheveux clairsemés. Il donne une impression sympathique mais ressemble plus à un animateur d'activités pour le troisième âge qu'à un garde du corps.
- Arrête de t'énerver, réplique l'homme de l'entrée.
Celui-là est certainement un ancien militaire. Costaud, il tient solidement sur ses jambes et parle d'une voix autoritaire.
- Je dis juste que j'aime pas ça...
- On sait que du monde sont après les Poulin. C'est pour ça qu'on est ici.
B prend une voix plus rassurante.
- On va faire notre travail et rien ne va se passer.
- Pardon, dit O.
Il transpire. Il a encore plus peur que moi, réalise Ariane.
Les trois hommes l'ont oubliée et elle s'exaspère.
- Est-ce que je peux entrer?
L'homme qui surveille la porte lui demande son nom, vérifie sa présence sur une liste, puis lui explique les règles de sécurité. Interdiction d'entrer ou de sortir de la maison par une autre porte que celle-là. Les autres sont verrouillées et doivent le rester.
Pour fumer ou prendre l'air, elle doit aller sur le grand balcon du deuxième étage. Elle doit suivre sans discuter les directives données par les gardiens de sécurité et sera expulsée à la moindre incartade. Si elle observe quoi que ce soit de suspect, elle doit avertir un responsable sans délai.
Depuis qu'Ariane est descendue de l'auto, B ne se préoccupe plus d'elle, et elle essaie de se venger en l'ignorant. Elle laisse les trois hommes discuter et pénètre dans la maison.
Le hall est désert. Une feuille est collée au mur: « Party » avec une flèche pour indiquer la direction. La feuille est inutile, on peut aussi bien suivre le bruit que fait la musique. Ariane accroche son manteau dans l'immense vestiaire et remplace ses bottes par des souliers. Elle réfléchit à ce qu'elle vient d'apprendre. Un groupe criminalisé menace les Poulin, la maison est gardée comme un château-fort et des inconnus espéraient peut-être se glisser à l'intérieur en passant par le jardin.
Tous les gardes du corps sont armés. Si une intrusion se produisait, ça pourrait tourner en bain de sang.
Les muscles d'Ariane sont crispés et un poids désagréable presse sa poitrine. La réaction de O l'a impressionnée. Si un homme chargé de les protéger a peur, qu'est-ce que ça signifie? Elle imagine le cadavre ensanglanté de David, Myriam attachée... ou elle. B a été clair à ce sujet. Ariane avait prévu rentrer chez elle à pied et maintenant l'idée lui déplaît. Pas question, décide-t-elle, ça serait trop dangereux. Elle va se faire raccompagner.
Elle se raisonne. Les criminels ont pu agir parce que les Poulin n'étaient pas protégés. Maintenant que des hommes comme B ou comme le garde de l'entrée surveillent la situation, ils vont se trouver une autre cible.
Elle décide d'observer l'état de la cuisine.
L'étage est désert. Les parents sont absents pour la fin de semaine, les bonnes en congé, les invités au party, les gardes du corps ont disparu. Enfin, devant l'entrée de la cuisine, elle aperçoit des gens. Trois gars qui se taisent quand elle s'approche et lui sourient.
Leur physique dépareillé rend le groupe comique. L'un est petit, le deuxième obèse, le troisième costaud.
- Tu viens voir les dégâts? demande le petit, qui s'appelle Cédric.
Ariane lui sourit en retour.
- Oui.
Cédric, Maxime et William connaissent David depuis le primaire. Avec Ariane, ils agissent toujours en gentlemen. Elle est le centre d'attention, ils lui sourient, l'écoutent, la complimentent... Et pourtant, elle ne parvient jamais à se sentir à l'aise avec eux.
Cédric s'efface pour la laisser passer et Ariane pénètre dans la cuisine. Elle se pétrifie.
D'immenses taches noires couvrent un comptoir, le mur et les armoires du dessus.
Les portes des armoires sont ouvertes et leur contenu a été enlevé, sans doute pour faciliter la réparation.
- C'est plus gros que ce que j'avais imaginé, avoue-t-elle.
- Ils avaient entassé là tout le carton et le papier du recyclage, explique Maxime de sa voix douce. Plus tous les livres de cuisine et des journaux. Ils ont vidé dessus des bouteilles d'alcool. Ça brûle très bien.
- Je vois ça.
- Heureusement, le feu n'a pas pris et il s'est éteint tout seul.
William, celui qui est costaud, approuve de la tête. Il ne parle pas souvent.
Ariane se tient à l'endroit exact où, deux jours plus tôt, les criminels ont capturé Myriam. Voir ces traces d'incendie rend la menace plus réelle.
- Si les armoires du dessus s'enflammaient, dit Cédric, ça aurait été différent. La maison entière y passait.
Ariane a un frisson. Pas question que je rentre seule à la maison, se répète-t-elle.
[suite dimanche le 4 septembre]
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Protection dangereuse [Terminée]
Mystery / ThrillerDes deux dangers, la mafia russe n'est pas le pire. Ariane a 17 ans et sa vie ressemble à un conte de fées. Elle est très jolie, sa famille vient de pénétrer le milieu des ultra-riches et elle sort avec l'héritier d'une des plus grosses fortunes du...