Épisode 6

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Ariane retourne au cégep, passe l'après-midi à étudier, puis se retrouve en classe. M. Dufour, le professeur, débite sa matière d'une voix monocorde.

— ...Platon témoigne lui-même, au début de la lettre sept, de son projet initial... ...mais surtout, de la continuité de sa vision politique... ...et, en un mot, du déterminant qui constitue dans son œuvre... ... en ce sens, la philosophie fut d'abord pour lui de l'action entravée...

Éparpillés dans le local, les étudiants sont avachis sur leur chaise, comme des débris sur une plage, rejetés par l'océan. Trop gras ou trop maigres, mous, mal habillés, ils s'ennuient avec résignation.

Le physique incroyablement vivant du garde du corps s'est imprimé sur les rétines d'Ariane. B. Est-ce la vraie initiale? L'adolescente cherche des prénoms qui commencent par cette lettre et qui lui conviendraient.

« S'il passe ses journées à surveiller David, pense-t-elle, je le verrai souvent. » Elle s'imagine discuter avec lui, se sent s'envoler comme une montgolfière, devine que son attirance va lui causer beaucoup d'ennuis et le ballon s'écrase. Les clous de la réalité l'ont crevé.

Elle tente de se concentrer sur le cours et fixe la bouche de M. Dufour, seule partie en mouvement de son visage. Le professeur est aussi vieux que Platon. Ariane a l'impression que les phrases desséchées qui sortent de ces lèvres desséchées flottent dans l'espace jusqu'à elle, l'entourent et l'étouffent comme des lianes.

L'autobus 51, qui la ramène à la maison, est bondé. Dans cette multitude d'humains divers, Ariane se sent comme dans un désert.

Elle occupe un des sièges individuels du côté du chauffeur. Un garçon se tient debout près d'elle, le visage fade, des écouteurs aux oreilles, et il s'agrippe à la barre. Il vacille à chaque mouvement du véhicule et Ariane a l'impression qu'il va tomber sur ses genoux.

Elle ferme les yeux et voit le beau démon, costaud, les gestes souples et puissants, qui la palpe avec les yeux comme lorsqu'il est descendu de l'auto. Elle s'imagine dans sa chambre, la nuit, quand un incendie se déclare. Un homme apparaît à la fenêtre. C'est lui. Il se saisit d'Ariane et saute avec elle dans un arbre. Ensuite, bien sûr, ils s'embrassent.

— Je t'ai sauvé la vie, alors tu m'appartiens, dit-il.

— Non! Je suis une femme libre.

— Je fais toujours ce que je veux.

Les mains du garde du corps glissent sous son chemisier et prennent les seins d'Ariane tandis qu'elle essaie de l'en empêcher. Elle se sent excitée comme jamais, dans cet autobus, entourée d'inconnus dont aucun ne se soucie d'elle.

« Je fantasme parce que rien ne peut se passer entre nous » se dit-elle.

Elle l'a lu dans ses yeux. Le beau démon est un égoïste à la volonté implacable. Le genre de gars que rien ne peut retenir et qui brise les cœurs avec indifférence.

Pourquoi un garçon dans la jeune vingtaine travaille-t-il comme garde du corps? Est-il un sportif sans cervelle? Un militaire ou un futur policier? À en juger par son corps, il est un athlète qui s'entraîne sérieusement, mais il s'exprimait bien quand il a parlé à David.

La maison familiale est silencieuse comme la mort. Ariane monte et s'enferme dans sa chambre.

Elle tire les rideaux, se déshabille et se met au lit.

Les yeux fermés, elle touche ses seins, imaginant que ce sont les mains de B qui prend toujours ce qu'il veut. Il est habile et Ariane se raconte des histoires encore plus inavouables que dans l'autobus. Ses mains glissent sur son ventre et plus bas, tandis que les lèvres pleines du garde du corps l'embrassent et qu'il la remplit d'amour.

Calmée, elle demeure au lit, les yeux fermés, et se demande comment le physique d'un inconnu peut autant l'émouvoir. D'habitude, elle n'est pas si superficielle.

B l'a observée d'une manière troublante quand il est descendu de l'auto et ensuite n'a plus semblé la voir. Elle se demande pourquoi.

Est-il aussi méchant que ce que David a raconté? Peut-être que c'est juste un gars qui n'aime pas son travail et qui va s'avérer sympathique. Il ne faut jamais se fier aux apparences, se dit-elle.

Mais parfois, juste parfois, les apparences ne mentent pas.

[suite mercredi le 6 juillet... en espérant que j'aurai moins de difficultés à écrire l'épisode!!!]


Protection dangereuse [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant