Épisode 29

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Une porte s'ouvre et Ariane s'effraie. Elle s'arrache à sa fascination pour la sortie et effectue quelques pas, comme si elle se promenait.

Le chauve apparaît, avec son gros nez et son expression de fermier sanguinaire. Sourcils tordus, les yeux comme des canons de fusil, il saisit le bras d'Ariane, désigne la porte d'entrée et, de son autre main, fait signe de couper son cou.

Ariane frissonne.

Elle se sent ramollir de terreur quand elle pénètre dans la pièce d'où le chauve a surgi. Les deux autres hommes se tiennent là et sont furieux contre lui. Ils surveillaient Ariane et lui auraient sauté dessus dès qu'elle serait sortie.

Le roux tient une tablette. Indique-t-elle sa position?

Elle explore le rez-de-chaussée et arrive à l'entrée d'une salle carrée, au plancher de bois, aux murs couverts de miroirs. B est là et s'entraîne.

Torse nu, il fait des push-ups, sans effort apparent. En voyant son ennemi, la colère d'Ariane se ravive. Il a presque réussi à lui faire vivre un autre épisode traumatisant en la laissant libre dans la maison, avec ses complices qui rêvent de l'agresser. B est un monstre et Ariane regarde avec fureur le bracelet qui indique sa position.

La pièce est dépourvue de meuble. Elle s'assoit sur le plancher de bois, à bonne distance de lui. Sa musculature durcit et se détend au rythme de ses montées et descentes. On dirait un fauve. Il n'a pas un atome de gras.

Enfin, il a terminé et s'assoit à son tour sur le plancher.

— Pourquoi est-ce que tu t'entraînes à moitié nu? demande Ariane. Tu es en amour avec ton corps?

— Quand ma motivation faiblit, je regarde mon tatouage et je me rappelle pourquoi je fais ça.

Ariane en perd la parole et elle examine le torse humide de sueur. Maintenant, elle comprend presque tous les dessins. La main qui froisse les feuilles de formules mathématiques, c'est le vol de l'invention. Le nœud coulant, c'est le suicide de l'oncle. Le pistolet avec trois balles vides et trois pleines, c'est la roulette russe. L'adolescente comprend aussi le sens du château qui brûle, avec la tête sur le piquet et le crâne qui rit. Mais que signifie la dernière image, ce corps qui tombe de la falaise?

— Tu es devenue une vedette, dit-il. Le chef de la police de Montréal a fait une conférence de presse à ton sujet. À Québec, l'opposition officielle a parlé de toi à la période des questions. Ils affirment que ta disparition est un signe de la hausse de la criminalité et accusent le gouvernement de se traîner les pieds.

— Tu n'as pas peur de te faire arrêter?

— Les policiers sont loin de me soupçonner. Ma fausse identité me protège, ils ignorent l'histoire de mon oncle et ils sont partis dans la mauvaise direction: ils enquêtent sur les employés du traiteur qui était là durant le party.

— Comment sais-tu ça?

— Un de mes collègues est un ancien policier et les détectives lui ont tout raconté. Ils savent que, durant le party, tu as disparu pendant plus d'une heure. Ils pensent que tu étais dans une chambre en train de baiser avec quelqu'un, que c'est peut-être lié, et ont fait la liste des gens qui se sont absentés en même temps. Ils n'en parlent pas trop pour ne pas énerver David.

— Ils te soupçonnent, alors.

B sourit avec satisfaction.

— Je ne suis pas sur leur liste.

— Comment ça?

— J'ai un alibi: je surveillais la porte d'entrée. C'est vrai que je me suis éclipsé une quinzaine de minutes pour aller poser la caméra, mais la chance était de mon côté. Personne ne l'a remarqué.

— Tu prends trop de risques, observe-t-elle. Ça va te brûler.

— Tu me sous-estimes.

Elle inspire et se lance.

— Je suis prête à entendre la suite de ton histoire.

— Tu disais que tu ne me croyais pas?

L'adolescente rougit tandis que des émotions contradictoires la traversent.

— J'ai réfléchi à ce que je sais de M. Poulin et je t'ai observé. Oui, je te crois. Mais je connais David. Jamais il ne serait complice d'un geste comme ça. Il ignore toute l'histoire et tu ne me feras pas croire le contraire.

B l'écoute en silence.

— Et ça ne te justifie pas de m'avoir kidnappée, ajoute-t-elle.

— Je t'ai kidnappée parce que tu m'as vu poser la caméra.

— Eh bien, tu es un salaud de l'avoir fait. Et ça justifie encore moins d'avoir menacé de me tirer dessus et fait semblant de te suicider. Surtout que... Je ne sais pas si tu es aussi bon comédien, mais j'ai eu l'impression que tu étais proche de tirer.

B détourne le regard. Ariane est surprise de voir son assurance s'effriter.

— Nous sommes vivants tous les deux, dit-il. C'est le principal.

Ariane regarde encore la tête sur un piquet, la maison qui brûle, le nœud coulant. Se faire graver ces images sur le corps démontre que l'histoire le torture. En même temps, son comportement suit une logique qui échappe à la jeune fille. Lui cache-t-il quelque chose?

Est-ce qu'il la manipule dans l'espoir qu'elle l'aide à capturer Charles Poulin? Jamais elle ne fera ça. Elle n'a pas découvert son oncle suicidé, elle.

La jeune fille s'imagine à quinze ans, qui s'inquiète pour son oncle et entre chez lui. Elle se voit qui l'appelle et qui écoute le silence, tandis que sa terreur grandit. Avancer est impossible, puis elle trouve le courage d'explorer la maison. Le lit est vide. Toutes les pièces le sont. Son soulagement est immense, puis elle pense au sous-sol.

Quand, enfin, elle le trouve pendu au plafond, le coup est terrible. Assise sur le plancher de bois près de B qui se repose, Ariane se crispe de dégoût et son cerveau se remplit de toute la laideur du monde.

Jamais un adolescent de quinze ans n'aurait dû vivre ce moment, et surtout pas seul.

Quelque chose fond en elle. Son cœur s'agite et une douce émotion la gagne.

La volonté de B est incroyable. N'importe qui aurait été brisé, mais il a tenu le coup. Il est trop fort, tout simplement.

La haine d'Ariane s'évapore et plus rien ne retient ses sentiments. Ses yeux explorent les muscles du criminel. Son torse et son abdomen sont divinement sculptés. L'adolescente a envie de les toucher.

Son cœur accélère et sa respiration devient difficile. Elle humecte ses lèvres, fixe celles de B, puis détourne les yeux. Des décharges électriques la traversent et une sensation grandit dans son bas-ventre.

Tout ce qu'elle a envie est de se coller contre cet homme trop beau. Elle veut guérir l'âme de B avec son corps.

Viens me remplir d'amour, chuchote une voix en elle. Ce que tu as, ce que tu es, c'est ce qui me manque.

Le désespoir l'envahit. C'est évident que B la manipule et lui cache des informations. Elle ne doit pas s'attacher à ce criminel. Mais comment s'en empêcher? Elle détourne les yeux, se remémore la violence de B, ses mensonges, ses menaces et, de toutes ses forces, elle tente d'étouffer ses émotions et de redevenir froide.

[suite dimanche le 11 décembre très très tôt]

Protection dangereuse [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant