Septembre (1)

1.2K 32 10
                                    

Aujourd'hui s'écrit le prochain tome de ma vie.

Il ne s'agit pas de tourner une page et d'en commencer une blanche, ce n'est pas non plus un simple chapitre, il est question de la poursuite de ma saga, enfin plutôt le début... Il ne s'est pas passé grand-chose dans ma vie jusque-là, je compte faire en sorte que cela change. Bref, c'est la rentrée scolaire. Cela ne semble pas bien passionnant, pour moi c'est une étape cruciale, je n'en ai pas dormi de la nuit. Il y a quatre mois, l'entreprise de mon père lui a proposé une importante promotion : rien de moins que de prendre le poste de vice-président. Il nous a réunis, ma mère et moi, pour en discuter. Après tout, c'est le genre de décision qui impacte et bouleverse toute la famille, cette fameuse promotion s'accompagnant d'un déménagement à Paris. La consultation était en réalité factice, j'ai rapidement compris que ma mère avait déjà accepté. Il ne restait plus que moi. Un piège ? Pas vraiment, j'aurais pu refuser et mon père aurait décliné la proposition. Le calcul a été vite fait. D'un côté, rendre mes parents heureux, permettre à mon père de continuer son évolution professionnelle, d'atteindre un poste pour lequel il a toujours travaillé dur. De l'autre, ma petite vie trop paisible, sans attache. Je ne suis pas quelqu'un d'extraverti, je peux affirmer que je n'ai aucun ami. Mes camarades de classe m'associaient de temps en temps à leurs activités, par une forme d'obligation que l'on appelle politesse. En dehors de l'école je n'avais quasiment aucun contact avec les autres. Au moment du choix, l'enjeu n'était donc pas énorme, je n'avais rien à perdre.

Durant un moment, j'ai même trouvé l'idée du déménagement plutôt excitante. Une occasion de laisser le passé derrière moi, une opportunité de devenir un autre, d'enfin vivre ! Bon, à cet instant précis, maintenant qu'il faut affronter la rentrée scolaire, j'ai peur. Ma vie sans surprise, sans aventure, me manque déjà. Un nouveau lycée, des gens que je ne connais pas. Si je n'avais aucun pote à l'époque, au moins tout le monde savait à quel point je suis asocial. Il va falloir tout recommencer, sans reproduire les mêmes schémas. Ma mère me dit de ne pas m'inquiéter, que tout va bien se passer, que je vais vite me faire des amis. Autant dire qu'elle ne me connaît pas du tout ou alors qu'elle joue une sorte de comédie, pour me rassurer, alors qu'elle sait parfaitement que ce sera une catastrophe. De mon côté, j'essaie d'être positif, de me convaincre que j'ai une occasion en or de repartir de zéro. J'avoue qu'il me pèse d'être seul, de n'avoir personne à qui me confier. Il faut que j'arrive à changer. Je ne sais même pas si j'en suis capable, je n'ai aucune idée de la manière dont je vais m'y prendre. Mon rêve serait de me faire des potes, de ceux que l'on garde pour la vie. Et aussi, tout au fond de moi, secrètement, je voudrais connaître ma première histoire d'amour. Sans doute que je peux y arriver, si je ne me laisse pas tétaniser par la peur. Je me force à rester positif, ce n'est pas simple : je suis sur le point de me jeter dans l'inconnu, les enjeux sont énormes...


Lorsque j'entre dans la cuisine, je découvre que ma mère a préparé un petit déjeuner royal. Sur la table, il y a absolument tout ce que j'aime. Elle est enjouée, me débite des tonnes de phrases en mode « positive attitude », elle ne manque pas d'idées pour me motiver. Mon père est absent, je ne lui en veux pas : c'est aussi son premier jour, à son nouveau poste. Il a autre chose à faire et à penser que de soutenir son fils au début de sa nouvelle vie imposée. Je mange peu, à cause du stress et parce que je n'ai pas envie de m'exploser l'estomac. Une indigestion serait une bonne excuse pour louper les cours, en revanche ce serait un très mauvais nouveau départ. Je passe sous la douche, qui se prolonge comme si j'avais la faculté de faire s'étirer le temps à l'infini, que je pouvais repousser le moment fatidique. Ma mère a tout fait pour que je sois en confiance. J'ai eu droit à un passage chez le coiffeur, qui a eu la liberté de laisser s'exprimer son inspiration, c'est plutôt réussi. Mes cheveux sont si courts que je pourrais directement entrer dans l'armée, mais j'avoue que c'est pas mal. J'ai aussi plein de nouvelles fringues, j'ai cru que ma mère allait acheter tout le magasin. Elle a accaparé un vendeur qui m'a habillé des pieds à la tête pendant deux heures, il a flairé le pigeon. Quand je me regarde dans le miroir, je ne me reconnais pas. J'ai l'impression d'être déguisé. Surtout, je crois que je ne peux plus respirer. J'aimais les vêtements amples, le vendeur a insisté pour des trucs hyper serrés, l'objectif étant de « mettre mon joli petit corps en valeur ». Ce vendeur est gay, le suspense n'a pas duré longtemps.

MathieuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant