Mathieu

Octobre (3)

Comme c'est devenu une habitude, une de celles que j'apprécie, après l'heure de course au stade Sébastien vient directement chez moi. Pour passer le reste de l'après-midi et la soirée avec moi. J'aime cette complicité, qui s'est finalement installée très rapidement. Nous n'avons pas encore parlé du pourquoi, je veux dire par là que j'aimerais savoir pour quelle raison, le premier jour de classe, il m'a fait signe pour que je m'assois à côté de lui. Pourquoi moi ? Pourquoi m'a-t-il intégré aussi rapidement ? Officiellement, c'est parce qu'il est le délégué de la classe. Oui, il a été réélu à l'unanimité dès le début de l'année. Donc je pourrais simplement me dire qu'il prend son rôle très au sérieux et qu'à cause de ça il a fait en sorte que je sois bien intégré immédiatement. Je ne sais pas comment les choses se passent habituellement, mais je pense qu'il est quand même allé beaucoup plus loin que ce que doit faire un délégué. Certes, à l'école il a tout mis en œuvre pour que je me sente bien, mais il n'avait pas à me faire venir aux entraînements à la piscine, à me faire courir avec lui ou à passer tous ses samedis soir avec moi. Il y a quelque chose d'autre, que je n'arrive pas à comprendre. J'aimerais bien lui demander, mais en fait, si nous parlons beaucoup, je pense qu'on serait mal à l'aise d'aborder ce sujet. L'amitié est quelque chose d'impalpable, qui se forme sans qu'on le prémédite. Il n'y a sans doute aucune explication logique, on ne peut pas tout intellectualiser dans la vie. Enfin moi, j'aime avoir des explications, comprendre, j'ai du mal à supporter que les choses soient juste comme ça...

Bref, mes parents viennent de partir, pour rejoindre leurs nouveaux amis. Car eux n'ont pas perdu leurs habitudes. J'ai toujours connu les samedis soir seul à la maison. Pour eux, c'est l'occasion de sociabiliser, ils ne se voient pas rester devant la télévision à regarder des niaiseries. Je trouve même qu'ils sortent beaucoup plus, et plus longtemps depuis que nous avons emménagé à Paris. Pour moi qui aime tout analyser, là ce n'est pas difficile à interpréter. Il y a quand même eu un grand changement : je ne passe plus mes soirées tout seul, je suis avec un pote ! Ils ont donc la conscience totalement tranquille.

– Voilà les pizzas. Tu as ce qu'il faut dans le frigo ?

– Ouais, y en a deux dans le congélateur.

Ah oui, nous avons contracté une nouvelle habitude, pas la meilleure, certes, mais quand même très agréable. Nos pizzas ne sont plus accompagnées de canettes de coca, le soda a été remplacé par la bière. C'est tout une stratégie pour que mes parents ne remarquent rien. Ils me laissent beaucoup de liberté, heureux que je me fasse des amis. Il reste quand même des limites à ne pas franchir. Donc, le vendredi soir je passe au supermarché pour acheter un pack de bières que je glisse dans mon sac. À aucun moment on ne m'a demandé ma pièce d'identité. Soit je fais plus vieux que mon âge, soit tout ce qui intéresse les grandes surfaces, c'est de vendre. Bon, dix-sept ou dix-huit ans, la frontière est assez ténue et effectivement, sans doute que personne ne remet en doute ma majorité, je peux très bien passer pour un mec qui a déjà atteint l'âge légal.

– C'est parti !

Je ne sais pas trop pourquoi, mais une fois que nous sommes seuls, que nous avons les pizzas et la bière, on se fout en caleçon avant de commencer à jouer à la Xbox. Nous ne sommes plus en été, il ne fait plus une chaleur caniculaire, pourtant nous conservons cette habitude. Surtout parce qu'on est beaucoup plus à l'aise en caleçon. Et puis, on se voit souvent torse nu, puisque nous allons à la piscine ensemble. Pourtant, je reste déstabilisé d'avoir un si bel homme torse nu dans ma chambre. De son côté, cela ne prête certainement pas à confusion. De mon côté, souvent je dois me concentrer pour me contrôler. De regarder ce magnifique corps musclé, légèrement poilu, provoque régulièrement un début de réaction... dans mon caleçon.

– T'attends un appel ?

Tout en nous défiant à des courses de voiture virtuelles, nous discutons tranquillement. Nous ne sommes que tous les deux et il y a le prétexte du jeu, qui détourne l'attention. Alors, puisque nous ne sommes pas face à face, les yeux dans les yeux, nos discussions sont souvent plus personnelles. On ne pourrait pas les tenir quand nous sommes en groupe, ou même sur la piste d'athlétisme. Il faut attendre que l'environnement soit plus intime.