Mathieu

Septembre (4)

Ma vie a pris un coup d'accélérateur. Je n'en reviens pas de ce qui m'est arrivé depuis la rentrée. Si la conversion était possible, ce serait l'équivalent d'un an de mon ancienne vie. Et encore, je n'ai jamais vécu autant de nouvelles aventures. Je suis même déjà intégré au groupe WhatsApp de Sébastien et ses potes. Je ne participe pas aux échanges, en tant que nouveau je ne peux pas vraiment réagir à leurs blagues, qui font référence à des événements qui précèdent mon arrivée dans ce lycée. Mais j'ai une vie sociale ! Je ne pensais pas que les choses pouvaient changer aussi rapidement. Bien sûr, c'est fragile. J'ai peur de dire une bêtise ou de faire une erreur, simplement parce que je ne maîtrise aucun des codes. C'est aussi pour cette raison que je ne participe pas aux discussions. J'estime être en phase de test, les autres m'observent, me jaugent, et un faux pas pourrait m'exclure du groupe aussi vite que j'y suis entré. Avec moi ils n'ont aucune attache, je peux être effacé d'un claquement de doigts. Du coup, je réfléchis à ce que je pourrais écrire et le temps que je trouve une bonne réplique, la discussion WhatsApp a totalement changé de sujet. J'hésite même à utiliser les émojis, par crainte de ne pas choisir le bon et que ce soit mal pris. Il faudrait sans doute que je me laisse simplement porter, c'est ce que je me répète mais ce n'est pas dans ma nature.

Mes semaines sont désormais bien remplies. Il y a évidemment les cours, mais aussi tous les soirs un passage à la piscine. Deux avec l'équipe, les autres avec Fabien. Il est là pour m'apprendre à devenir un meilleur nageur, et je pars de loin. Mais il m'apporte aussi bien d'autres choses. C'est tellement simple avec lui, j'ai l'impression que nous pouvons parler de tout. Surtout dans l'intimité du vestiaire, qui crée forcément une ambiance particulière.

– Comment tu fais, enfin, pour ne pas avoir de réaction quand on est tous ensemble, à se changer ?

C'est une question qui me trotte dans la tête depuis un moment. J'ai quand même hésité à la poser. Je ne sais pas au bout de combien de temps deux potes peuvent parler de ce genre de chose. D'ailleurs, est-ce que les mecs discutent librement de ce sujet entre eux ?

– Pourquoi, toi t'as une érection quand t'es dans le vestiaire ?

Fabien est beaucoup plus direct que moi. Je n'ose pas encore utiliser ce genre de terme devant quelqu'un d'autre. Mais je suis content qu'il n'évite pas la question. Apparemment, j'avais le droit de la poser et ça ne le dérange pas du tout.

– Euh, non, mais c'est parce que je garde mon Speedo tout le temps.

– C'est faux de croire que si tu l'enlevais, tu aurais direct la trique. En fait, dans ce genre de situation on se contrôle. Le vestiaire et les douches, ce sont des endroits particuliers. Évidemment, dans les pornos ça vire toujours au sexe.

J'ai un doute : de quel porno parle-t-il ? Dans les versions entre hommes, oui il y a beaucoup de scènes dans les douches collectives qui finissent par des orgies. Est-ce qu'il y a l'équivalent dans les pornos hétéros ?

– Dans la vraie vie on est juste là, entre mecs qui se changent ou se lavent. On partage le même espace parce que c'est beaucoup plus pratique. Je ne sais pas comment l'expliquer, mais y a pas de dimension sexuelle.

– Pourtant, tout le monde s'observe.

– Je crois que c'est normal, on a envie de voir ce que les autres ont entre les jambes. Pour savoir où on se situe.

– Je n'ai pas envie qu'on se compare à moi.

– Pourquoi, elle est toute petite ?

– Euh non, mais...

Je n'aurais jamais dû lancer cette conversation, c'est quand même un terrain glissant.

– Faut te détendre, Mathieu. Évidemment que tu ne vas pas, du jour au lendemain, t'exhiber devant tout le monde, t'es encore timide et pudique.