CHAPITRE 28.

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J'ai mal dormi cette nuit. Je crois que le cas de Magalie m'a empêché de fermer l'œil. J'ai cogité sur la façon dont l'avait traité Gilles, la raison pour laquelle je continuais de travailler pour une raclure pareille. Puis j'ai listé toutes les raisons éthiques de démissionner, mais je me suis rappelée à quel point j'ai galéré à avoir ce poste et la chance d'avoir dégoter qui plus est un CDI. Je me souviens également m'être imaginée en tant que porte-parole d'un groupe féministe, et l'ambiance était dingue, du moins je me souviens simplement de voir une foule devant moi, tandis que j'avais grimpé sur un camion de manifestation pour faire mon speech.

Puis est arrivé le moment où je me suis souvenue de la fameuse question de Magalie, « est-ce que vous avez déjà souffert par amour ? ». J'ai repensé à toutes les aventures que j'avais eu, toutes les relations, de plus d'une nuit. Mais aucun cœur brisé. Je n'étais jamais tombée amoureuse. Même quand j'étais dans la cour d'école, je jetais mes copains quand j'en avais marre d'eux. Allais-je finir seule ? Est-ce que je me le souhaite ? Mon indépendance peut-elle préexister en étant en couple ?

J'ai remis toute ma vie en question. Je me suis fait un tas de scénarios possibles. Et mourir seule étaient les pires. Je me voyais aigrie et antipathique. Hors de question que je puisse finir comme-ça un jour.

Donc oui. Ma nuit a été longue et mon sommeil de courte durée.

Aujourd'hui je travaille d'après-midi au bar. L'inconvénient c'est que je ne sais pas comment gérer mon retour, surtout si je viens à croiser mon cher patron. De plus, Sélène m'abandonne pendant près d'un mois pour son road trip dans l'inconnu. Je vais donc devoir gérer toute seule la situation de Magalie et me dépatouiller lorsqu'il y aura des problèmes dans le bar, alors que je l'ai toujours fait avec ma collègue, mon binôme. Heureusement, je serais un peu plus entourée de notre rayon de soleil ces prochaines semaines, Didier.

Je traîne un peu des pieds pour me rendre au boulot. Je n'ai pas envie d'y aller, et j'ai un mauvais pressentiment qui me pousse à ne pas y aller. Et on m'a toujours recommandé de suivre son instinct.

Une fois vêtue de ma tenue de serveuse, le travail peut commencer.

- Salut Jade, ça fait longtemps que nous ne nous sommes pas vus !

- Didier ! Tu nous manques avec Sélène...

- Au moment où je reviens de mes vacances, Sélène a pris les siennes.

Son ton est râleur. Je le comprends, qu'est-ce qu'un trio sans être trois ?

- Tu n'aurais pas vu Magalie, à tout hasard ?

- Depuis quand t'intéresses-tu à elle ?

- Tu as raté pas mal de choses Didier.

- Tant que ça ?

Je fais mine de réfléchir.

- Oui. Je te raconterai ça après le service.

Les clients se bousculent aujourd'hui, c'est atroce. Je suis surmenée, je manque de me péter la gueule plusieurs fois, c'est le problème avec le fait de courir dans un bar. Je m'approche près d'une table sur laquelle est assis un vieux monsieur, usé par le temps. Je nettoie la surface sale de la table et lui demande :

- Qu'est-ce que je vous sers ?

- De l'alcool

Les traits de son visage sont tirés, marqués probablement par une vie difficile. Ses joues sont rouges et des petites veines violettes partent de son menton et s'étendent jusqu'à ses yeux.

- Qu'est-ce que vous voudriez comme alcool ?

- N'importe quoi !

Je ne me vois pas devoir choisir pour lui sa consommation. Je ne suis même pas sûre que j'aie le droit de le faire en réalité.

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