Chapitre 32

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Notre attention à tous deux se reportent sur Jarlath qui, toujours sur sa plateforme, fulmine en silence pour le moment. La présence de mon père est une épine désagréable plantée au beau milieu de son dos : elle le démange et exacerbe sa fureur, celle qu'il dissimule sous des couches d'affabilité hypocrite. Elle luit dans son regard, imprègne ses tissus, transparaît dans la rigidité de son corps et vibre tout autour de lui.

Necahual est le premier à rompre cette observation tendue et muette en s'adressant directement à notre ennemi.

— Cela faisait longtemps, Jarlath.

— Malheureusement pas assez, j'en ai peur, lui réplique-t-il avec une grimace sur ses lèvres retroussées.

Mon père esquisse un sourire placide alors que son vis-à-vis secoue la tête.

— Je suis... surpris de voir que tu as pu nous rejoindre sans heurt.

— Je n'irais pas jusqu'à dire que c'était sans heurt. Tes hommes de main m'ont accueilli en bas, ils semblaient avoir des ordres bien précis me concernant.

— Ne le prends pas trop personnellement, Necahual. Ces ordres étaient à appliquer pour tous ceux qui n'étaient pas ta fille et Allan, assure Jarlath en nous désignant du menton.

— Quoi qu'il en soit, je crains fort que tu ne les revoies plus et qu'ils ne pourront plus assurer ta protection à l'avenir, rebondit notre chef alors qu'il passe un bout d'étoffe sur son visage barbouillé.

La mâchoire du vampire se serre et fait tressauter un muscle sur son visage.

— Je suppose que les sentinelles postées dans cette zone ne sont plus, elles aussi...

— Je pense qu'il est superflu de confirmer ton idée, répond mon père sans se départir de sa sérénité légendaire.

— Alors cela veut dire que nous sommes seuls, souffle Jarlath en faisant quelques pas inconscients sur son estrade.

— Rectification, lancé-je en captant ses prunelles, vous êtes seul.

Mon intervention tombe comme un couperet et fend l'atmosphère qui nous englobe. Celle-ci devient épaisse, chargée en électricité. Le flegme de Necahual s'évapore à l'instar de la fausse quiétude des lieux et ses orbes acérés se verrouillent à ceux de son ennemi.

— C'est terminé, Jarlath. Au moment où nous parlons, ton armée finit d'être dissoute par la nôtre. Vous étiez moins nombreux, vous ne pouviez pas faire le poids bien longtemps...

— Une armée peut se reconstruire, rétorque l'interpellé, le regard fauve.

— Avec quel chef à sa tête ? assène mon père. Tes plus proches conseillers et généraux sont morts. Les quelques fuyards qui en ont réchappé seront poursuivis et châtiés par les miens. Pour eux comme pour toi, ce n'est plus qu'une question de temps.

— Mais je suis toujours debout. Tant que je le serai, rien ne sera terminé, profère l'autre, le dos droit et le menton redressé.

— Tes ennemis sont en train d'investir les lieux, ils n'auront besoin que de quelques minutes avant d'atteindre cette pièce. J'ai veillé à leur laisser des balises pour les y aider...

J'ai un bref sourire à cette mention et échange une œillade confiante avec Gillian. Nos alliés vont arriver et Jarlath va périr. Notre lutte va prendre fin et notre désir de justice sera assouvi. Elias, Darcy, Trent, Yaotl, Sander... Nos amis et nos familles seront vengés, les crimes de celui qui nous les a ravis ne resteront pas impunis. Cette fois, la donne a bel et bien changé et nous allons pouvoir faire nos deuils plus sereinement. Nous allons apprendre à refermer ces blessures et faire la paix avec ce mal qui nous ronge.

Anien Don II - En Eaux TroublesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant