Chapitre 3

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Le corps de Sander s'effondre à terre, une mare de sang commence à se répandre sur ses vêtements et sous son corps. Allan se décale de biais pour le laisser se coucher complètement, le torse recouvert de sang frais. Le visage de mon ami a perdu toute couleur et son regard glacé est similaire à ceux vides et inertes qui l'entourent désormais.

Son cœur repose toujours dans la paume de son assassin, dégoulinant et mort, et cette image est accueillie par un cri déchirant qui glace mes os.

Gillian accourt, la bouche ouverte sur un long hurlement qui n'en finit pas, et dérape au sol pour se laisser porter jusqu'au... mort.

— Sander ! Oh mon Dieu, non. C'est impossible ! Non. Non. Non !

Les sanglots et paroles heurtées de la sorcière dévalent de ses lèvres, tandis qu'elle agrippe les épaules de l'homme et qu'elle les secoue en vain.

— Sander ! Sander ! Non, tu ne peux pas...

Dévastée et incohérente, Gill s'affaisse sur le corps en gémissant de douleur. Des taches sombres souillent sa tenue. Ses mains tremblantes se pressent sur le visage de son amant, le caressent avec désespoir. Et ses prunelles vertes baignées de larmes se rivent à celles sans vie qui lui font face. Sa respiration erratique ne lui permet plus très longtemps de parler ou de se lamenter, mais malgré ses pleurs, elle persiste à vouloir formuler le nom de celui qu'elle a aimé. Elle l'appelle par-delà la mort, désire qu'il lui réponde ou mieux, qu'il lui revienne... Comme si un miracle allait se produire. Sauf que les miracles ne sont pas pour nous, et les geignements profonds qui montent dans sa gorge prouvent qu'elle n'y croit pas vraiment.

Alors elle reste prostrée là, récolte le sang filant du cadavre sur ses bras et son torse, et se laisse submerger par la souffrance. Gillian s'effondre, à l'instar de son amant. Plus rien n'existe, plus rien ne compte en dehors de cette épouvantable réalité... Mais pas pour moi.

Mon attention finit par revenir sur la silhouette immobile au-dessus d'eux. Un frisson d'appréhension me saisit lorsque je constate que les yeux abyssaux de l'hybride sont déjà plongés dans les miens. La main toujours suspendue en l'air et à deux pas de son méfait et de l'amoureuse éplorée, il reste indifférent à ce qui se passe, sauf à moi.

Son regard me fouille, me scrute plus intensément que tantôt, avant que Sander s'interpose. Je ne parviens pas à lire, à décrypter l'étincelle à l'intérieur. Tout est beaucoup plus froid, détaché et sombre en lui désormais. Il ressemble au Allan de L'Emprise, lors de l'attaque que nous avions essuyée, mais en bien pire. En bien plus inaccessible et dangereux.

Mon cœur chevrote, pulse un peu plus fort dans ma poitrine, fait ainsi circuler autant de peur que d'accablement ; un mélange détonnant qui me ferait presque croire que je vais perdre la tête d'un moment à l'autre. Et d'un seul coup, ses soubresauts incoercibles entraînent une réaction ferme chez l'hybride. Sa force tranquille, son impassibilité proche de celle d'un prédateur patient, se volatilise ; elle se fracasse complètement, laissant plutôt s'exprimer sa bestialité toute retrouvée. Allan est un peu comme un requin : lorsque les eaux sont calmes ou n'attirent pas son attention, il reste indifférent ; mais dès qu'elles se troublent, dès qu'elles lui apportent le défouloir tant attendu, il fonce sur sa proie toute désignée.

Lâchant le palpitant poisseux, aussi insignifiant que tout ce qui l'entoure, il se détourne de Gillian et Sander, oublie les luttes qui vont bon train et se précipite sur moi. Je n'ai qu'une poignée de secondes pour réagir, trouver quelque chose pour me défendre de son attaque – car cette fois, je suis seule face à lui, personne ne s'interposera. L'illumination s'impose quand je capte le reflet orangé des flammes près de moi. Des bougies et des candélabres encore allumés. Il y en a quelques-uns derrière mon dos et d'autres par terre. Leurs lueurs brillent et m'inspirent le geste qui me sauvera peut-être. Je fais volte-face, renverse les derniers présentoirs debout et réunis les morceaux de cire enflammés devant moi. Puis, j'oblige les étincelles à devenir brasier et à me créer une cage protectrice.

Anien Don II - En Eaux TroublesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant