L'entrée du domaine est ravagée.
La terre a été retournée là où les bottes l'ont frappée, où les corps ont été projetés et se sont réceptionnés vaille que vaille – pour ceux qui l'ont fait et sont retournés au combat, s'entend. De larges étendues d'herbe ont été arrachées ne laissant plus que quelques cailloux et mottes de boue apparentes. Les arbustes et arbres alentour ont également souffert : des branches se sont rompues et des troncs ont été déformés sous l'impact des êtres surnaturels envoyés dans le décor.
Les fleurs ont été piétinées, des sillons informes sont tracés sur le sol, desquels des traces de sang ruissellent et forment ainsi un contraste saisissant avec la verdure persistante.
La désolation s'est abattue sur nos terres... mais bien plus encore sur les habitants. Le nombre de blessés est hallucinant, celui de morts, lui, est affligeant...
Alors que je marche en slalomant entre les débris naturels, je passe de corps en corps pour les inspecter et vérifier leur état, comme le font d'autres soldats alliés plus loin. Un important triage débute, les rescapés sont acheminés en urgence jusqu'au manoir où de nombreuses salles ont été libérées et transformées en infirmeries. Les morts, eux, sont rassemblés ensemble dans un premier temps et recouverts d'un linge ; nous nous occuperons de leur commémoration un peu plus tard, une fois qu'ils seront tous regroupés et identifiés.
On pourrait croire que notre longévité, notre statut de quasi immortels nous préserve de la vacuité et du tragique de la mort. Il n'en est rien. Comme l'avait expliqué mon père à Allan, la mort jalonne autant notre vie que celle des humains. Certes, moins souvent je dois bien l'admettre... Mais lorsqu'elle frappe à notre porte, c'est généralement pour en foudroyer plus d'un sur place. La mort nous fauche, nous emporte dans son giron et s'assure que ses causes ont été les plus dévastatrices possibles... comme c'est le cas aujourd'hui.
Nous ne sommes rien face à elle. Et son pouvoir absolu se lit aussi dans les yeux vides et éteints de nos pairs.
— Elle aussi est décédée, dis-je aux ramasseurs près de moi tout en fermant les paupières livides de la malheureuse sur son regard mort. Emmenons-la.
En silence, mes acolytes et moi-même soulevons la dépouille et l'apportons sur les rangées des macchabées. La sorcière est déposée délicatement puis habillée d'un linceul avant que je m'en détourne pour poursuivre ma mission.
Après la fuite de Jarlath et Allan, j'ai mis un temps infini à me ressaisir et à revenir ici. J'ai lutté contre mon envie impérieuse de les courser afin de ramener mon lié. J'ai gardé obstinément le regard porté au loin, à échafauder mille et une stratégies pour le rejoindre, quitte à y laisser ma peau en le tentant, jusqu'à ce que la raison l'emporte.
Je n'y serais jamais arrivée seule. Un pas vers Jarlath ou Allan aurait signé mon arrêt de mort avant même que je puisse dire « Ouf ». Les sbires de mon ennemi me seraient tombés dessus et m'auraient écharpée. Et Allan aurait alors été perdu à jamais...
J'ai renoncé, à contrecœur, mais je ne m'avoue pas vaincue pour autant. Ce qui s'est passé entre nous sur ce champ de bataille est une lueur d'espoir au goût d'inachevé. Et je ne peux pas passer outre. Je tiendrai ma promesse, je le ramènerai... Même s'il devait s'agir là de ma dernière action sur Terre.
Coûte que coûte.
— Eleuia ! m'appelle-t-on à quelques pas. On te cherche au manoir.
— Je viens.
Attrapant par la taille deux vampires amochés, je les aide à rentrer avec moi. Durant le trajet, leurs plaies les moins vilaines se referment, ce qui leur permet d'avancer un peu plus vite, jusqu'à ce qu'ils s'écroulent de fatigue sur des matelas de fortune dans un des salons.
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Anien Don II - En Eaux Troubles
ParanormalSUITE DE "ANIEN DON I - ENTRE DEUX MONDES", IL FAUT LIRE LE TOME 1 AVANT CELUI-CI Eleuia est une combattante aguerrie. Chaque fibre de son être, jusqu'à la moelle de ses os, a été régentée pour la lutte. Hybride mi vampire, mi sorcière millénaire...