Chapitre 9

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Je rêve de sang, de cris et de cendres. Je rêve d'une paire d'yeux clairs et étincelants avant qu'ils soient parcourus d'un abîme d'ombres. Je rêve de lames qui s'entrecroisent, de claquements violents de peaux. Je rêve de larmes qui deviennent déluge, du vent qui mugit et d'un brasier incandescent.

Je rêve de membres brisés, de corps écartelés et de cœurs arrachés. Je rêve de baisers vibrants, de griffures mordantes et de pleurs... de plus en plus de pleurs.

Leur son emplit mes oreilles, forme un écho troublant qui gagne en intensité. Soudain, ils semblent ressembler... à des vagissements de nouveau-né. Ils retentissent avec une puissance inégalable. Le bébé braille, hurle sa douleur et son abandon. Ses cris sont stridents, à s'en déchirer les tympans. Ils résonnent comme une sonnette d'alarme : suraigus, implacables, continus.

L'enfant exige ma présence, il veut que je m'occupe de lui. Alors je le cherche, j'ai la sensation de me mettre à courir dans ce songe et à décupler de force et de vélocité pour l'atteindre. Ses sanglots ne diminuent pas, mon agitation non plus. Je galope dans le noir, sans apercevoir de point d'arrivée au loin. Dans ma débâcle, je me rends toutefois compte que je ne m'approche pas plus de l'enfant que je ne m'en éloigne. On dirait que ses braillements sont partout et nulle part à la fois... Que cette immensité de noir et de rien dans laquelle je m'enfonce encore, n'est pas vraiment « habitée ».

Il n'est pas là. Ses lamentations si, mais pas lui. Ma course est vaine. Alors je dois...

Réveille-toi.

Je dois...

Réveille-toi.

Et ses pleurs et son chagrin qui...

Réveille-toi.

Sans crier gare, une silhouette, enveloppée d'un halo lumineux, perfore les ténèbres et s'arrête face à moi. Son visage angélique est encadré par quelques mèches plus sombres et sublimé par un magnifique regard saphir qui me transperce de part en part. C'est la couleur du ciel en plein été au Mexique. C'est la nuance que prend la glace sous les rayons du soleil en Alaska. C'est la teinte pure de l'océan que l'on contemple depuis les falaises de Bretagne.

L'apparition lève ses mains vers moi et les pose avec fermeté et douceur sur mes joues. Ses lèvres fines et rosées bougent sous mon nez, d'abord avec la même précaution que ses gestes sur mes traits, mais je ne parviens pas à l'entendre. Les vagissements alentour ne désemplissent pas. Bouche bée, je jauge l'homme, terrassée par tant de beauté et de pureté. Il a l'air d'un ange descendu d'un quelconque paradis...

Allan.

Ses doigts se resserrent brusquement sur le contour de mes pommettes alors que le léger sourire, qui ornait jusque-là sa bouche, se durcit et tombe un peu. L'ange penche davantage sa tête contre la mienne, au point de frôler mon front et ma bouche des siens. Dans le même temps, les cris perçants du nourrisson cessent. Le souffle chaud d'Allan se heurte au mien et je sens une partie de mon oxygène libérée s'infiltrer entre ses lèvres à l'instant où il les sépare l'une de l'autre.

— Réveille-toi, Eleuia !

Ses lippes me frôlent en prononçant ces mots et laissent un goût et une odeur alléchants inonder mes papilles. Lorsque l'homme se recule, j'attrape la perle de sang à l'orée de ma bouche avec la langue et ai l'incommensurable plaisir d'y retrouver la même saveur, ce petit morceau d'âme puissante et riche...

J'ouvre ensuite les yeux sur le plafond de ma chambre, sonnée et déboussolée par ces images oniriques. Mes cils papillonnent comme pour chasser les résidus de brillance et d'éclat de ma rétine, mais mes oreilles, elles, sont encore embourbées dans la cacophonie de pleurs lointains.

Anien Don II - En Eaux TroublesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant