Chapitre 11

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— Allan ! Écoute-moi, il faut que tu m'écoutes...

Ma voix est implorante, douloureuse, tandis que je tente d'esquiver chacune des charges de mon lié. Passé sa surprise première, ce dernier a eu vite fait de renforcer notre prison de flammes en les intensifiant d'un simple regard, puis de se jeter encore et encore sur moi pour m'écharper. Quelques minutes se sont à peine écoulées depuis que je nous ai enfermés ici, minutes durant lesquelles Allan m'a forcée à user de pirouettes infinies pour échapper à ses désirs meurtriers, et je fatigue.

Chaque roulade et glissade, chaque fuite et feinte consume mes forces. Je me sens faiblir un peu plus à mesure que les secondes défilent, mais je ne lâche rien pour autant. Il en va de ma survie, et aussi de ma réussite à atteindre Allan et à gagner du temps.

Nos alliés auraient dû être là à présent, il est évident qu'ils ont été retenus et ralentis en amont du domaine... Quelques disciples de Jarlath les ont attendus et les empêchent de progresser. Ça ne peut qu'être ça.

Et en attendant leur aide salutaire, mes troupes doivent continuer à lutter et à défendre... et moi à retenir l'arme la plus redoutable du clan ennemi.

Et le ramener à la raison.

— Allan... S'il te plaît...

Mes suppliques restent toutefois sans réel effet. Les seules choses que j'obtiens de lui sont de nouvelles attaques et ce rictus austère et improbable sur son faciès pourtant si avenant.

— Allan, c'est moi. Eleuia, essayé-je encore tout en me relevant d'un énième roulé-boulé. Tu te souviens ? Tu sais qui je suis !

Sans me décrocher un seul mot, il fonce à nouveau sur moi et grogne très bas quand ses doigts ne se referment pas sur mon corps. Il semble loin, parfaitement insoumis à la réalité. Il ne se lasse pas de bondir et de me poursuivre. Méthodique, il court quand il faut courir, saute quand il faut sauter et tend le bras quand je suis à sa portée. L'ensemble de son corps réagit, se meut avec vivacité et adresse, mais ses traits, eux, restent stoïques. Figés dans leur masque digne d'une poupée de cire, ils ne varient pas d'expression. Aucun sentiment ne transfigure ; même l'ébauche de sourire qu'il arbore n'est pas facilement déchiffrable.

Ni joie, ni peine, ni colère, ni rage... Allan fait juste ce que Jarlath lui a dit, sans ressentir ni réfléchir. Il obéit, point.

Le tableau est déchirant. Mon cœur se serre dans ma poitrine et semble rapetisser à mesure que mes cris fervents le laissent de marbre.

— Tu ne peux pas avoir oublié, Allan ! Tu ne veux pas nous attaquer, tu le sais au fond de toi. Nous sommes tes amis, ta famille ! Tu fais partie des nôtres !

Je ne récolte rien d'autre que des coups de poings passant à un cheveu de ma tête ou de mon sternum, mais je n'abandonne pas. Je ne peux pas. Je suis aussi possédée que lui, en un sens. Totalement possédée par ma volonté de le ramener à moi.

— Tu as vécu ici des mois durant. Tu as noué des liens forts avec les habitants du manoir. Certains vont même bien au-delà de simples amitiés. Tu as des frères et des sœurs ici, désormais ! Des personnes qui t'aiment et t'estiment tant...

Je m'accroche à ses yeux mornes à chaque nouvelle phrase ponctuée d'un assaut de sa part et d'une parade de la mienne.

— Tu m'as moi. Tu m'as moi, Allan !

Ma voix se brise sur un sanglot étouffé. Postée devant mon lié, je sens un faible tremblement reprendre mes mains.

— Corps et âme, à jamais..., complété-je dans un murmure qu'il perçoit cependant très bien. C'était ce que tu voulais, ce que tu espérais de moi...

Anien Don II - En Eaux TroublesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant