Chapitre 18

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Orléans, France, 1572

Les cris de terreur vrillent mes oreilles. Le sang des huguenots coule sur le sol crasseux à mes pieds. Tout comme la capitale hier, la ville est assiégée par la folie meurtrière catholique. Voilà une dizaine d'années déjà que le pays français est divisé par ces conflits religieux insurmontables. Dix années durant lesquelles la haine de l'autre et de la différence a atteint son apogée. Le peuple de ce royaume n'en finit pas de s'entretuer, mais ce qui se joue depuis la Saint-Barthélemy est plus infernal encore.

Les hommes massacrent leurs semblables, pris d'une frénésie incontrôlable qui n'est pas sans me rappeler celle de mes débuts en tant que vampire. Ils s'éventrent, égorgent et pulvérisent hommes comme femmes et enfants. Ils n'ont aucune considération pour leur âge ou leur sexe. Tout ce qui compte, c'est la violence et la peur qui les dominent et les poussent en avant.

Yaotl et moi avons suivi la piste du sang et de la rage depuis Paris, laissant nos hommes les plus aguerris s'occuper des carnages parisiens, perpétrés tant par les humains que par les nôtres. En effet, les « surhommes », comme nous nous appelons, se sont investis dans ces tueries. Enivrés par leurs sens exaltés, ils poussent aux conflits et s'en repaissent. Plus que les humains, ce sont eux que nous pourchassons, mon frère et moi. Au cœur de l'émulation il y a quelques heures, nous avons bien remarqué les manœuvres de nos pairs et avons décidé de nous lancer à leurs trousses dès lors que l'un des groupes belliqueux a franchi les portes de la capitale.

Nous les avons donc rattrapés ici et, d'un commun accord, mon aîné et moi nous sommes séparés afin de couvrir plus de distance et punir un maximum de nos faux frères. Ils n'ont aucun honneur, aucune moralité. Inciter à la haine et l'intolérance, et profiter de la souffrance de plus faibles que soi... Je ne l'admets pas. Les miens et moi ne souffrons plus cette attitude. Les hommes n'ont pas encore appris de leurs erreurs et préfèrent même les répéter, mais nous autres avons trop souvent vu les conséquences de ce genre de chaos. Nos siècles de vie nous aident à assimiler cette leçon...

Sur une impulsion du poignet, je fais tourner mon fauchon sur sa base, faisant décrire un beau cercle à sa lame, et fixe mes prunelles enragées sur ma prochaine victime. Un vampire en l'occurrence, qui traîne un jeune homme apeuré sur le sol. Je lui emboite le pas et n'hésite pas à trancher le bras qui retient sa proie au moment où il se retourne sur moi. Le membre vole entre nous un court instant avant de choir dans la terre et la boue. Un sifflement de douleur filtre entre les dents serrées du vampire.

— Partez, ordonné-je à l'humain en ramenant mon arme face à moi. Allez !

Il m'obéit gauchement, rampe à tâtons sans oser nous lâcher de son regard horrifié. Mon adversaire charge, ne se souciant guère du sang gouttant de sa plaie, l'œil assombri par sa soif démesurée. L'air encore poupin et le corps assez malingre, il n'est pas très âgé et se laisse donc diriger par ses pulsions primaires. Il ne cherche pas à se contrôler, ni même à évaluer les forces qui s'opposent à lui. Tout ce qui le préoccupe, ce sont le sang et la mort.

J'utilise le revers de mon fauchon pour le repousser en arrière alors qu'il s'apprêtait à bondir à la poursuite de l'homme. Je soupire. Il n'a même plus conscience des dangers qui le guettent, il n'a plus aucun sens des priorités...

Son feulement mécontent me laisse de marbre tout comme ses tentatives hargneuses de planter ses ongles dans ma chair. Je pare ses attaques acharnées, mais inefficaces, lui assène quelques coups nets au ventre et aux jambes jusqu'à ce qu'il finisse à genoux. Puis, postée derrière lui, je lève ma lame et fauche sa tête. J'essuie rapidement l'acier sur les vêtements du vampire décapité, les yeux rivés sur le moignon sanguinolent qu'est devenu son cou.

Anien Don II - En Eaux TroublesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant