Chapitre 21

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Mes siècles d'existence m'ont enseigné la leçon la plus ardue et délicate qui soit : contrôler mon impatience et ma nervosité, deux traits de caractère qui savent très bien me porter préjudice si je n'y prends pas garde. Enfant, j'étais terrible, une vraie boule d'énergie au tempérament déjà fougueux, qui ne tenait pas en place. Je ne supportais pas de rester trop longtemps inactive, j'exécrais les périodes de cours trop longues et qui nécessitaient de demeurer assis docilement sur le sol ou sur une paillasse. Je voulais bouger, je désirais apprendre à me battre plutôt qu'à nettoyer le linge. J'ai eu tôt fait d'obtenir gain de cause à ce propos d'ailleurs, mes parents ayant fini par accéder à mes requêtes impétueuses et répétées. J'étais bornée et presque aussi capricieuse que ma sœur, Citlali, en un sens.

Lorsque mes instincts de vampire se sont éveillés, la sensation de toute puissance qui les a accompagnés m'a submergée. À mes débuts, je ne maîtrisais pas mes envies les plus sombres et violentes. Je ne souhaitais pas le faire, à vrai dire. Je me pensais en droit de prendre tout ce que j'exigeais ou revendiquais. Durant de longues années, j'ai été infernale pour mes proches... mais surtout pour les autres. La bestialité qui couvait en moi demandait à être rassasiée, elle cherchait toujours mille et un stratagèmes afin de tromper la surveillance invasive de mes frères et de se repaître auprès de nouvelles victimes.

J'ai tué et massacré plus souvent qu'à mon tour. Je me suis délectée des cris de souffrance des hommes et femmes que j'attaquais. J'ai fait preuve d'une violence incommensurable qui les déchiquetait, les éventrait, les pulvérisait, au gré de mes désirs et de mon humeur... Et même si je culpabilisais après coup, à chaque fois ou presque, je ressentais à nouveau cet appel impérieux peu de temps après. Ma fébrilité de l'époque était exponentielle, elle me dirigeait de bout en bout. Necahual et mes frères ont eu beaucoup de travail avec moi, plus qu'avec mes sœurs. Ma nature et mes pulsions étaient en pleine crise, c'était désastreux.

Un véritable carnage, au sens propre comme au figuré.

Il m'a fallu des décennies pour réviser au mieux mon comportement. Je me suis pliée à la morale et à l'éthique que briguait mon père. J'ai obtenu mes premiers véritables résultats de modération grâce à lui. Sa ténacité est bien plus grande que la mienne, et il s'en est servi pour m'inculquer ses leçons. Avec cette aide inestimable, je me nourrissais avec retenue, j'évitais de me laisser emporter par la frénésie du sang. Mes seuls débordements de cruauté et de surexcitation mêlées avaient lieu durant les guerres auxquelles je prenais part. Dans ces moments-là, presque tout était permis...

Bien plus tard, au moment où la sorcellerie m'a inondée de son flux, j'ai su mieux gérer ce déchaînement agressif. J'ai canalisé, à un degré nettement supérieur qu'avant ma « transformation », mes excès, en accord avec les préceptes que m'imposait ma nouvelle nature mi-vampire , mi-sorcière . Le respect de la vie, humaine comme surnaturelle, prenait une autre envergure, il gouvernait plus fermement mes actes et pensées.

Il n'empêche que très vite, mon affinité avec le feu s'est déclarée... au point qu'à l'époque, je ressentais un brasier ardent me consumer de l'intérieur. Et à bien y réfléchir, cette sensation ne m'a pas quittée depuis. J'ai toujours eu un tempérament aussi vif et brûlant que le feu, alors en devenant hybride, ce dernier m'a envahie corps et âme. Nous sommes en harmonie l'un avec l'autre, il se niche au plus profond de moi en périodes de calme et rougeoie avec force en périodes d'effusion.

Ma sauvagerie n'a jamais disparu, pas plus que mon caractère enflammé. Ils brûlent en moi, flambent dans mes veines et mon cœur. Et mon apparence, elle, est celle de la glace, ou d'un fleuve tranquille dans mes meilleurs jours : calme, impavide et paisible.

Anien Don II - En Eaux TroublesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant