Chapitre 19

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Je retire ma lame d'un coup sec de l'abdomen du berserker et détale à toutes jambes loin de lui, la pointe de l'acier n'ayant fait que frôler son cœur. Mon souffle devient plus sifflant de seconde en seconde à mesure que je change de rythme de course. Je passe d'un trot soutenu à un galop éclair en fonction du nombre d'obstacles sur mon chemin.

Je tente de ménager mes forces et mes efforts pour le bon moment, quitte à ce que mes soldats achèvent – au sens propre – mon travail. Cependant les sbires de Jarlath ne semblent pas décidés à me laisser faire. Leur chef a sans doute donné des ordres allant dans ce sens... Le vampire ne paraît pas être aussi pressé que moi de nous revoir, alors il m'envoie certaines de ses meilleures recrues triées sur le volet pour me le faire savoir et me ralentir.

Serait-il moins joueur que ce que je m'étais figurée ? Ou plus probablement, il se comporte ainsi parce qu'il préfère rester le maître du jeu en toute circonstance. C'est un maniaque du contrôle, après tout. Il veut dominer, et le moment venu – en clair, celui qui lui conviendra – il se présentera à moi.

En attendant, les guerriers tant vampires que berserkers qu'il m'adresse sont les plus puissants et agressifs qui soient à sa botte, après ceux qui composent sa garde très rapprochée bien sûr. Certains me donnent du fil à retordre, ce qui explique pourquoi je ne fais que les neutraliser un temps plutôt que les éliminer purement et simplement. J'en suis même arrivée au point où je me sers d'un Glock pour tirer quelques coups bien placés dans leur crâne dur. Alors que je slalome entre quelques arbres, j'ai la satisfaction de voir tomber trois de mes ennemis lancés à mes trousses. Je n'entends plus de bruits de course par-dessus ma respiration lourde.

Rangeant momentanément le pistolet dans son holster, j'attrape mon bâton télescopique dans mon dos, le déploie et m'en sers pour me propulser dans une autre direction. J'emprunte un autre chemin pour rejoindre le flanc sud du champ de bataille, là où j'ai cru percevoir un attroupement important. Allan et Jarlath pourraient en faire partie. Je dois m'y rendre pour en avoir le cœur net.

Je ne fais toutefois pas cinq mètres avant de sentir une nouvelle présence dissimulée dans les fourrés environnants. On me traque encore, et cette fois mes sens et instincts s'affolent, mis dans un état d'alerte avancé. Mon palpitant fait une embardée violente sous mes côtes en réaction et mes jambes s'immobilisent sur les aiguilles de pins. Se pourrait-il que...

Un rire brutal, à la limite de l'hystérie – mais surtout féminin – répond à mon interrogation et tue dans l'œuf mes espérances. La personne qui marche vers moi et se dégage des broussailles n'est pas celle que j'attendais. Et au vu de l'étincelle mesquine et fourbe qui pare son regard profond, elle l'a très bien compris.

— Si tu avais vu ta tête, Hybride ! s'esclaffe la vampire. Je t'ai fait une fausse-joie ? Tu as cru que c'était quelqu'un d'autre, disons un bel étalon fougueux qui allait apparaître ? Pas trop déçue de constater qu'il ne s'agit que de moi ?

Son sourire démentiel dévoile toutes ses dents et creuse à outrance ses joues. Son allure n'est pas sans rappeler celle de ces clowns tueurs dont raffolent les humains dans certains films d'horreur. « Une expression radieuse sur le visage, mais un désir vibrant de massacrer dans le regard », c'est ainsi que mon propre père les décrit. Cette femme en est l'illustration parfaite, selon moi. D'autant plus que son aura est marquée par une animosité excessive et une soif de sang et de chaos.

— Tu ne dis rien ? La surprise est telle que tu as perdu ta langue, Hybride ? m'apostrophe-t-elle encore alors que je suis en train de la scruter intensément. Tu n'es même pas curieuse de savoir qui je suis ?

— Tu es une disciple de Jarlath, lui réponds-je alors sur un ton bas. Tu as un poste avancé auprès de lui, pas une générale cela dit, peut-être plus une conseillère doublée d'une éclaireuse... Je t'ai déjà vue fureter nos troupes lors de nos derniers affrontements. Mais de là à vouloir savoir qui tu es absolument, non, je m'en contrefiche. Je ne m'intéresse pas à l'identité des sous-fifres que je tue.

Anien Don II - En Eaux TroublesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant