Chapitre 6

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Île Tudy, Bretagne, 1867

Le nez relevé sur le paysage environnant, je savoure la caresse iodée et le souffle léger du vent sur mes joues. Je ferme une seconde les paupières pour mieux apprécier les rayons du soleil qui revigorent ma peau tannée. À mes côtés, Sander m'imite et prend une profonde inspiration, le sourire aux lèvres.

— Ça fait tellement de bien, souffle-t-il dans la brise.

J'acquiesce sans bruit à ses dires. La vie dans cette région me plaît beaucoup. L'air y est pur, le panorama, resplendissant, le calme, absolu... La mer, qui se trouve en bas de cette modeste dune, est d'un bleu limpide, apaisant même. Le ressac des vagues berce et rythme nos journées productives, les plages de sable comme de galets sont autant des lieux de convivialité que de pêche en fonction des saisons, et la nature franche et verdoyante parachève ce tableau de havre de paix.

Il fait bon vivre en Bretagne, au point que Sander, Gillian et moi désirons prolonger notre séjour – initialement arrêté à une année, environ – et convier mon père et une poignée de nos amis les plus proches à nous rejoindre. J'ai évoqué cela avec quelques-uns des habitants influents du coin – dans un breton, qui, j'ai honte de l'avouer, n'est encore que très sommaire, hélas –, et loin d'y être opposés, l'idée a paru les intéresser. Ils ne seraient pas contre de nouveaux arrivants prêts à prendre part dans le métier de pêcheur et de marin, comme c'est le cas avec Sander, qui depuis un mois occupe ce statut. Sans oublier les champs de culture qui pullulent dans les environs...

La vie est plus douce ici qu'ailleurs, et après les temps durs et usants que nous venons de traverser, mes acolytes et moi souhaitons nous établir un moment dans un pays serein et prospère. Nous avons tenté plusieurs provinces, plusieurs territoires, en Angleterre comme en France ou en Espagne, mais ce n'est qu'une fois avoir jeté l'ancre, un peu par hasard, dans le port de cette presqu'île, que nous avons enfin trouvé une zone sûre et attrayante.

Le ricanement du berserker m'arrache à mes rêveries et m'oblige à me recentrer sur lui.

— Les petits Le Gallen semblent tout autant apprécier que nous cette escapade sur la grève.

Je retiens un éclat de rire devant les deux jeunes bambins en train de trottiner sur leurs petites jambes, engoncés dans leur « chupenn*» noire qui les protège du vent. Afin de soulager leurs parents, nos hôtes les plus accueillants de cette péninsule, Sander et moi avons proposé d'emmener les plus jeunes sur la plage. Gillian est restée auprès de leur « Mammig** » et leur sœur aînée pour terminer de préparer le déjeuner, que nous allons tous partager dans quelques minutes, désormais.

J'emboîte le pas aux « bugale*** », tout en jetant un coup d'œil derrière moi pour voir Bleuenn, la cadette de Jil et Gwenola Le Gallen, se précipiter sur Sander et lui prendre la main. Cette petite est légèrement amoureuse du berserker depuis quelques semaines, ce qui ne manque pas d'attendrir ce dernier en plus de le remplir de fierté toute masculine. Sander est un grand enfant à bien des égards, il s'entend à merveille avec « ses pairs », et ce, peu importe où nous atterrissons. Il a une espèce de pouvoir sur eux qui les met tout de suite dans sa poche.

Le bruit de nos piétinements sur les cailloux est bientôt remplacé par celui de l'enfoncement de nos pieds dans le sable humide. Yvon et Enor galopent loin devant, tout joyeux, se penchent de-ci de-là pour prendre des galets et les faire ricocher sur l'eau, tandis que je marche aux côtés de Sander et Bleuenn. L'enfant babille tranquillement, raconte mille et une choses au géant qui lui sourit et hoche la tête de temps en temps.

— Tu ne comprends pas la moitié de ce qu'elle te dit, n'est-ce pas ? déduis-je, un sourcil haussé vers lui.

— Le quart de la moitié serait plus exact, me répond-il en réfrénant un rire. Elle parle trop vite pour moi !

Anien Don II - En Eaux TroublesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant