Chapitre 20

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Un frisson se loge dans ma poitrine palpitante. Toujours plongée dans son regard, je le sens s'étendre jusqu'à la pointe de mes orteils. Allan et toutes ses ténèbres sont là. Il me contemple sans un mot, mais le chaos en lui, par contre, parle à mon chaos. Ils se reconnaissent, s'apprivoisent lentement. Comme nous.

Le désir souverain, tant de courir me jeter dans ses bras que du haut d'une falaise, s'empare de mon être. Il m'écartèle, me fait disjoncter à l'intérieur... mais mon visage, lui, revêt un masque de neutralité. En partie tout du moins, car la souffrance qui résulte dans mon cœur ride et chiffonne mes traits. Allan, lui, parvient à être impassible, rien ne semble pouvoir l'atteindre.

Comme lors de son éveil macabre...

Cette pensée me frappe de plein fouet et menace de rompre plus sérieusement mes digues internes. Ce regard froid et obscur, cette immobilité... suis-je arrivée trop tard cette fois encore ? Une quelconque intervention pourra-t-elle être bénéfique à ce stade désormais ? Le doute m'assaille et agrandit la plaie purulente en mon sein. D'un seul coup, je ne sais plus si je dois ou si je peux faire quoi que ce soit. Mon esprit toujours parasité par mon altercation avec la vampire ne m'aide pas à trouver les réponses à mes questionnements. Alors nous restons à nous observer en chiens de faïence, durant une nouvelle minute... puis une autre... et encore une autre...

Un défilé d'émotions violentes, quoi que familières, m'habite, et elles sont toutes motivées par la seule présence muette de mon lié. Tristesse, culpabilité, désespoir, colère, désir, amour, angoisse... Là où elles trouvent une place pour se loger dans mon corps et mon âme, elles le font et croissent jusqu'à vrombir. Elles grondent et vibrent de plus en plus fort, de plus en plus loin. La terre sous mes pieds accueille elle aussi un morceau de leur énergie et tonne, comme le ferait le ciel un jour d'orage.

Clouée sur place, meurtrie dans mes chairs, je suis submergée, engloutie par cette tempête. Incapable de me détourner de l'objet de tous mes désirs et de tous mes maux réunis, je le scrute, le contemple et le toise tout à la fois. Je suis perdue. Découragée. Indécise.

Jusqu'à ce que...

Quelque chose se déclenche. Un tremblement diffus, autre que celui que je provoque, remonte dans le sol. Il grouille et rampe jusqu'à moi, chétif mais présent, cependant. Et dès qu'il passe de la terre à mon organisme, il fuse.

Sa faiblesse n'était qu'un leurre, sa véritable puissance explose en moi et me coupe le souffle. Cette énergie trouve immédiatement un écho dans mes veines, les électrisant en un claquement de doigts. Elle se propage comme une traînée de poudre, poignante et chaude. Elle a la force d'une gifle et la tendresse d'une caresse, elle est virulente et souple à la fois.

Je reconnaitrai cette signature entre mille. Je l'ai tant attendue, tant espérée durant toutes ces semaines, tous ces mois ! Elle m'a effleurée sur un autre champ de bataille et j'avais cru renaître à ce moment-là. Comme si je retrouvais un foyer longtemps abandonné. Comme si je respirais à pleins poumons pour la première fois de ma vie.

C'est la marque du lien qui nous unit, Allan et moi. Ce miracle escompté qui me fait rouvrir des yeux remplis de larmes d'émerveillement.

Il est là.

— Allan...

Le faciès de l'homme change, ce qui fait battre mon cœur plus vite. Il m'a entendue. Il est là, sous ces couches de noirceur et de rage mal contenue, il est vraiment là. Je le sens dans toutes mes fibres maintenant que notre connexion se rallume petit à petit.

— Allan, l'appelé-je encore tout en faisant un pas vers lui. Allan, c'est moi, tu te souviens ?

— N'approche pas.

Anien Don II - En Eaux TroublesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant