~ Chapitre 1 ~

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1567 Château de Blois

- Agnès Ducoroy, il me semble que c'est à votre tour.

L'esprit d'Agnès se perdait dans la contemplation de la cour du château. Le jeu de plateau, la rithmomachie que la femme du duc de Bavière lui avait proposé, ne pouvait la combler. Elle avait toujours été une femme d'action plutôt qu'une intellectuelle assourdissante. Cela ne faisait pas d'elle une femme de méconnaissance, ou d'étroitesse d'esprit... Cela faisait d'elle une femme qui ne s'octroyait pas les plaisirs des hommes, cette masculinité pleine de rudesse et d'impulsivité qui préférait la chasse et les jeux.

Elle se cherchait un monde différent des complaisances de la cour. Son imagination la découvrait en vaillante guerrière, en génie de stratégie militaire, en noble duchesse contribuant à la prospérité de sa propre contrée. Mais indéniablement, elle était rappelée à l'ordre.

- Voyons ma chère, recouvrez vos esprits ! Votre comportement est humiliant.

D'un coup d'éventail, Agnès se vit offrir un vent frais au visage et lorsqu'elle put reconquérir la réalité des choses, Isabeau de Bavière affichait une mine outragée. La vieille femme, amoureuse des jeux de plateau, signifiait du bout de son outil purgateur l'absence d'engagement d'Agnès. Elle avait perdu en seulement quelques minutes et cela lui avait paru être une éternité...

Il était connu par chaque noble du royaume de France qu' Isabeau avait une patience sans faille, et qu'elle pouvait jouer jusqu'aux aurores. Ce qui était totalement impardonnable aux yeux d'Agnès... C'était là, peut-être, ce qui avait eu raison de sa jeunesse. Les joues ballantes et rosies par la frustration, la sueur roulant sur sa peau adipeuse, le maquillage couvrant la chair d'une épaisse couche... Les seules agitations provenaient de ses habituels mouvements d'éventail, porteurs de vents purs.

- Pardonnez-moi, ma Dame. J'étais distraite par la chaleur.

Isabeau de Bavière hocha la tête alors qu'elle positionnait correctement sa jupe. Le vert profond de celle-ci estompait son teint d'une façon blafarde, similaire à du mauvais goût, ou bien à un intrépide sentiment de se croire encore capable de porter quoique ce soit. Agnès se savait éprise de méchanceté... Mais en premier lieu, elle n'avait jamais souhaité parvenir à ces effets de l'aristocratie. La politesse n'était que narcissisme et hypocrisie. Elle se demandait d'ailleurs ce que les autres Dames de la cour penseraient de leurs entrevues. Il y avait un contraste évident entre une femme de toutes les fantaisies, et l'autre d'une simplicité presque à prendre en pitié... Tout comme la silhouette fine d'Agnès paraissait ironiquement maigre face à celle imposante de Bavière.

Finalement, Agnès entreprit d'écouter sa lassitude. Elle ne pouvait assouvir les caprices d'Isabeau. Les femmes nobles la fuyaient comme la peste, sachant pertinemment qu'elle était d'un ennui incommensurable. Agnès n'avait pas pour habitude de prendre de haut quiconque... Mais les épreuves endurées à la cour lui remémoraient ses jours heureux envolés. Depuis combien de temps avait-elle quitté Orléans ?

Les souvenirs la submergeaient avec une violence inouïe... Le fleuve du Loir, la forêt, et les plaines de Beauce. Sentir les blés dans l'étendue des champs prospères, se baigner dans les courants d'eau douce, se perdre dans l'immensité des chênes et des pins sylvestre... Elle avait renoncé à ses ballades à cheval, à ses entraînements à la masse d'arme qui lui avaient attiré de nombreuses remontrances de son père pour son aspect peu délicat, puis à ses parties endiablées de jeu de paume avec ses servantes. A présent, elle était plongée dans un impératif de courtoisie. Et en se faisant cette remarque, elle eut une envie irrésistible de fuir cette bécasse gorgée de superflu.

Elle se leva, invoqua une fatigue douloureuse, s'excusa platement, et se retira sous le regard désemparé d'Isabeau. Passant dans les couloirs avec une nouvelle liberté, Agnès se sentit revivre. Elle avait enfin osé ! Carapater dans le palais royal avait une dimension salvatrice qu'elle ne pouvait nier. Elle ne put se retenir d'afficher un sourire ravissant. Après tout, n'était-ce pas agréable de se rappeler le bon vieux temps et d'enfreindre les règles de temps à autre ? Elle ne pouvait se lamenter sur son sort. Elle avait encore tellement de choses à découvrir, tellement de saveurs à rencontrer, tellement de possibilités à s'accorder...

L'AgnèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant