~ Chapitre 5 Partie III ~

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Agnès ne parvenait pas à se calmer... Elle avait aussi le regret de ne pouvoir avouer la vérité à son père. Mais la réputation du Duc de Vendôme aurait eu raison d'elle. Emmanuel Ducoroy se serait moqué de sa naïveté à penser qu'un homme tel que lui ait jeté son dévolu sur elle, et seulement elle. Il était connu pour courir les jupons des femmes de tout le royaume. Alors même si le visage qui hantait Agnès était celui d'Edouard de Vendôme, elle ne devait pas s'y méprendre. Il se jouait d'elle.

Agnès se leva de table et salua son père. Elle ne souhaitait pas demander pardon, ni lui accorder la parole. Elle se retira dans un silence de plomb. Lorsqu'elle fut dans sa chambre, elle pria de tout son être pour que cette journée finisse. Elle était exténuée. Alors qu'elle avait l'habitude de lire quelques uns de ses livres favoris, elle essaya de s'endormir. Le sommeil l'emporta peu à peu... Ses doux rêves la plongeaient dans de meilleurs existences. Tout devenait tellement plus apaisant.

Boum !

Agnès se réveilla en sursaut. Elle calma son cœur ayant bondi sous l'effet de l'imposant bruit. La main sur la poitrine, elle reprit son souffle. Finalement, elle se rallongea. Son voisin devait avoir un sommeil troublé... Pourtant celui-ci, toujours silencieux, et s'il y en eut un, n'avait encore jamais provoqué une telle gène vis à vis d'elle. Et elle ne pouvait lui en vouloir, cela arrivait à toute personne dotée d'une capacité à cauchemarder. Elle ne prendra que peu de temps à se rendormir...

Boum ! Boum !

Cette fois-ci, elle sortit de son lit en colère. Elle ne pouvait fermer l'oeil avec ces bruits assourdissants. Elle fit quelques pas pour atteindre les murs communs aux deux chambres. Lorsque le son réapparut, elle comprit qu'il s'agissait d'un bois de lit heurtant le mur. Elle ne pouvait plus assigner ce comportement à un simple sommeil agité... Elle décida de tendre l'oreille. Posant délicatement ses deux mains contre la fine paroi, coupant instinctivement sa respiration et levant les yeux au ciel... Ce qu'elle entendit la fit reculer aussitôt, le visage marqué d'embarras. Elle entendait une voix de femme qui n'était ni de paroles, ni de rires. Il s'agissait de petits gémissements mêlés d'une respiration haletante, d'une jouissance dans un effort physique. Parfois cette femme jouissait de plaisir, puis chuchotait des paroles suaves, désireuse d'en avoir plus... Et ce que manifestement le compagnon de chambre lui offrait.

Agnès était immobile. Que devait-elle faire dans une situation aussi délicate ? Elle n'avait jamais eu à réagir à ce genre de chose... Avant sa venue au château de Blois, elle restait seule dans sa chambre qui occupait un second étage vide. Elle y avait entendu du bruit, même lorsqu'il ne s'agissait que d'un frôlement au sol... Mais la plupart du temps, le silence était absolu. A ce souvenir, le manque de sa maison s'immisça dans son être. Sa bibliothèque, sa chambre réconfortante, le chant des oiseaux... Elle pensa alors à son livre déposé ce matin sur son petit meuble de chambre. Elle se dirigea vers celui-ci en essayant d'oublier ce qu'elle venait d'entendre, de cette relation intime qu'entretenait son voisin avec une quelconque femme de la cour.

Elle prit l'ouvrage en main et l'ouvrit à la page légèrement pliée, celle qui présentait la fin de sa dernière lecture. Mais à mesure que ses yeux voyageaient sur le papier, le plaisir de plus en plus intense des deux voisins de chambre se mélangeait au récit. Parfois, même se concentrer ne suffisait pas... Elle ne parvenait à lire qu'une seule phrase en boucle pendant l'intégralité du déroutant évènement.

* * * 


- Pourquoi n'êtes-vous pas avec votre femme et votre fils ? Ne vous manquent-t-ils pas ?

Il était tard, affreusement tard. Et Jeanne se trouvait à discourir avec l'agaçant Duc de Guise. Quant avait-elle commencé à répudier sa solitude au point de discuter avec un homme aussi détestable ? Elle ne le savait plus, à vrai dire...

- Il ne s'agit que de quelques jours. J'ai vécu loin de ma famille durant des années pour la guerre.

Jeanne se mit à l'imaginer en pleine guerre, l'épée en main et le regard sans pitié qu'il pouvait offrir à ses ennemis. Il devait être un barbare. Il devait trancher sans la moindre faiblesse, et couvrir de sang son visage implacable... Cela lui ressemblait bien. Elle voulut même en rire, mais se rappela que la guerre n'avait rien d'amusant. Une pensée lui traversa l'esprit et, se disant qu'elle avait déjà commis beaucoup d'erreurs à l'encontre du Duc, elle demanda :

- Pourquoi n'entreriez-vous pas à l'intérieur ?

Elle n'aimait pas lire, ni écrire. Les jeux étaient sa préférence. Mais, seule, il lui était impossible de s'y adonner. Elle espérait aussi qu'il puisse apprécier cet instant, sans le moindre sanglot de sa part. Elle avait décidé d'enfermer ses sentiments malheureux au plus profond d'elle même jusqu'au retour de son promis. Et pour cela, il lui fallait penser à autre chose. Néanmoins, seule dans sa chambre et n'ayant aucune distraction possible, ni même le sommeil... Comment devait-elle procéder ? C'était de cette réflexion qu'avait émergé une soudaine sympathie envers le Duc de Guise. Il répondit d'un ton glacial :

- Pourquoi le devrais-je ? 

- Une partie d'échec vous tenterait ? - fit-elle avec aisance-

Par un grand hasard, il se trouvait être le jeu de plateau préféré de Guise, ce qui l'incita à s'engouffrer à l'intérieur. Jeanne fut dorénavant face à lui, la plaque centrale du jeu faite de marbre dans ses mains et le regard vif. Pour autant, elle n'était pas reconnaissante envers le Duc de Guise. Elle campait sur ses positions quant à le haïr. Mais, en toute bonne cause, et à une heure scandaleuse pour un homme jouant dans la chambre d'une dame, il fallait oublier de nombreuses convenances. Ils semblaient prêts à garder le secret... Ne fallait-il pas faire quelques concessions ?

Jeanne disposa les chaises et la table correctement, positionnant ensuite la plaque du jeu au centre. Elle s'empara des pions et découvrit, à la manière de manier les petits objets, que le Duc de Guise devait être expérimenté dans les échecs. La partie débuta. Jeanne saisit l'un de ses pions pour l'avancer de quelques cases. Lui, suivant en miroir, exerça la même action qu'elle. Elle se concentra sur l'emplacement de ses pions et la stratégie à pratiquer. Celle-ci fut plutôt convaincante, et plongea le rival dans une concentration palpable. Absorbés par le jeu, ils paraissaient mettre de côté leurs différents. N'avaient-ils pas remarqué leur subite entente ? Aucune importance, Jeanne venait de clore ce qu'elle avait imaginé afin de remporter la partie. Elle pouvait enfin le dire, empoignant sa majestueuse reine :

- échec et mat !

Le Duc de Guise observa Jeanne. Ce n'était pas un regard empli de haine, ou d'une quelconque frustration à avoir échoué. Il paraissait plutôt captivé par la force d'esprit qu'elle venait de lui prouver.

- Vous venez d'essuyer un échec cuisant ! C'est avec le mouvement de mon cavalier que vous auriez dû...

Jeanne continuait de parler, mais de Guise ne l'écoutait pas. Était-ce toujours la femme faible, dans un continuel chagrin qui l'avait battu aux échecs ? Non... Il comprenait. Il était captivé par Jeanne de Bourgogne, tout en étant dérouté par le comportement de la future Jeanne de Beaufremont. Soudain, il fut attiré par ses lèvres, se mouvant en de légères paroles. Il ne put résister plus longuement à cet appel provenant des abysses de son être... Brusquement il se leva et, prenant le coude de Jeanne dans l'une de ses robustes mains, l'embrassa.  

  

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