~ Chapitre 10 partie III ~

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 Il donna un coup de rêne brusque, puis se dégagea de la foule bruyante. Il devait absolument répondre à cette lettre. Il devait faire basculer Agnès dans ses bras. Il n'aurait jamais pensé être capable d'élever une femme au-dessus de ses obligations envers son suzerain. Cette femme le dénaturait... Ou l'illuminait.


* * *


- Marquis Alexandre ?

Lorsque celui-ci quitta ses occupations pour découvrir la personne qui le quémandait, il ne put y croire. Agnès Ducoroy s'approchait de lui. Il ne pouvait interpréter l'expression de ce visage magnifique, mais il lui semblait qu'il était glacial, officiel, à contrôler la moindre faiblesse... Elle cachait les indices certains d'un chagrin. Alexandre ne parvenait pas à se rassurer de sa présence. Elle lui offrit un sourire, et l'espoir le submergea.

- Au-revoir, mon promis. Revenez-moi vivant.

A ces paroles, Agnès Ducoroy lui offrit un tissu d'une broderie sublime. Alexandre le prit entre ses mains, il ne quittait pas des yeux Agnès. Il était ému de recevoir cette offrande symbolique. Il perdait ses pupilles bleues dans les siennes émeraudes, il tenait de son index et du pouce la paume d'Agnès, la couvrant d'affection... Il ne désirait rien de plus. Soudain, un bruit sourd retentit et déchira l'infini. Alexandre divergea son regard pour le porter sur le mouvement tumultueux des troupes. Il lui fallait affronter la guerre.

- Merci, mademoiselle Ducoroy – dit-il avec reconnaissance -

Elle hocha la tête en signe de politesse. Il s'en contenta, s'avouant qu'à son retour, ils se marieraient. Oui, cela, il ne pouvait que s'en contenter dans un bonheur inouï. Alors Agnès vit Alexandre de Savoie rejoindre la troupe tandis qu'elle retenait ses larmes. Elle savait que le Duc était parti, lui aussi. Il devait afficher un visage grave, l'oubli d'elle marquant ses yeux profonds... Elle ne devait plus être qu'un souvenir refoulé. La vue de cette armée lui devînt insupportable.

Elle marcha inlassablement dans les alentours du château et se prit à cheminer vers le fleuve. Elle voulait aspirer les quelques poussières restantes de leur passage... de ces moments délicieux. Elle avait projeté sur la silhouette du Marquis celle du Duc, sa carrure virile, le dos droit, le menton relevé pour aborder un air de fierté. Agnès savait que cela n'avait été que le fruit de son imagination cruelle, puisque le véritable Vendôme devait être lassé de son comportement. Il souhaitait certainement jouer avec une autre femme, sans sentiment, sans le moindre complexe... Il en avait tous les droits.

Elle piétinait dans l'étendue d'herbes, le regard porté à l'orée du bois, enlaçant la Loire. Elle n'était qu'un point minuscule dans ce champ déserté. Brusquement, des pas de chevaux retentirent. Le bruit des sabots fut violent dans l'esprit d'Agnès. Elle accéléra sa foulée, se laissa porter par l'idée de courir et s'adonna à l'explosion de ses émotions... Elle réalisa à quel point cela lui faisait du bien. La rage qui l'animait s'exprimait librement. Elle se haïssait, elle se détestait, elle se maudissait.

Bientôt, elle courut avec la sensation de se déchaîner. Cette personne qui la poursuivait n'avait aucune importance. Elle pouvait bien l'écraser de son cheval, elle en serait d'autant plus libérée de son agonie. Alors de toutes ses forces, à en mourir, jusqu'à ce que son souffle ne soit plus qu'un dernier soupir...

Pourtant, Agnès s'assura de l'identité de cet autre. En se retournant, elle fut rattrapée par ce qui semblait être la représentation chimérique d'Edouard de Vendôme. C'était si douloureux... Elle savait que ce n'était pas lui, qu'il était parti, qu'elle n'existait plus pour lui, qu'il n'était plus. La fatigue l'envahissait et eut raison d'elle. L'homme quitta son cheval et fondit sur elle, l'empoignant à la taille. Ils tombèrent à la renverse, roulèrent dans cette herbe qui s'affaissait au contact de leurs corps entre-mêlés. Agnès finit par être immobilisée sur le dos, l'homme au visage du Duc au dessus d'elle. Le visage proche et les jambes maintenues, son cœur palpitait dangereusement. Elle ne devait pas pleurer dans cette situation irréelle... Elle se défendait de cette emprise comme une sauvage.

L'AgnèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant