Le prince s'avança vers la porte pour la quitter, mais fit une halte avant de disparaître. C'était ce qui suffisait à Marie pour se sentir considérée. Elle finit par être, irrémédiablement, seule après son départ. Elle était d'autant plus saccagée de rage après sa visite. Si Louis de Condé ne parvenait pas à être victorieux du siège de Paris... Alors il s'emparerait de la royauté par le biais d'un héritier aux sangs-mêlés.
* * *
Depuis combien de temps était-elle restée dans cette chambre ? L'esprit vide, le regard lointain, le corps dépossédé de toute once de vie... Jeanne était submergée d'une obscurité qu'elle avait fini par apprécier. Des heures s'étaient écoulées depuis sa chute. Elle était à présent étrangement apaisée. Elle avait la sensation d'être hors du réel, de ce monde qui lui échappait. Elle se fichait même de l'emprise des ténèbres sur elle...
La Reine était à ses côtés et lui faisait découvrir la pénombre. Elle était poussée dans un précipice dangereux où les mains du diable l'enlaçaient. Les ongles crochus griffaient sa chair, mais le sang qui s'en écoulait était une façon de la laver de toutes souffrances du passé.
Bientôt, elle se sentit introduite dans une assemblée pécheresse. Toute la solitude qu'elle avait pu ressentir devenait inconnue. Des traces noires, telle de la peinture composée de charbon, avaient été disposées sur son ventre dénudé. Son être tout entier respirait à grandes bouffées lorsqu'ils lui murmuraient de la rejoindre, à vouloir absorber ses peines, à vouloir la libérer de ses fardeaux.
Subitement, elle se leva de la couchette pour se précipiter dans les bras de la Reine. Celle-ci l'accepta. Jeanne pleurait dans les bras de sa majesté comme le ferait une fille auprès de sa mère. Les paroles de la Reine ricochaient dans son être :
- Aucune souffrance, simplement le chemin suprême. Vivre à mes côtés jusqu'à la mort, être bercée par les enfers... Ho, mon enfant...
Dans le besoin de recevoir de l'amour, Jeanne acceptait délibérément de devenir le substitut de l'enfant perdu de la Reine. Il était connu que sa majesté avait enchaîné les fausses couches, jusqu'à ne plus être dans la possibilité d'enfanter. L'épouse de Charles IX s'enfermait dans un chagrin immense tandis que Catherine de Médicis la confinait au château de Blois. Il n'y avait plus que les chants susurrés aux oreilles frissonnantes : Satan, Satan, Satan... Et elle rejoignit le diable.
Les yeux de Jeanne n'étaient plus qu'éclats de folie dans l'obscurité totale de la chambre. Elle se sentait triomphante, et cette sensation fut la plus agréable d'entres toutes. Elle allait renaître en se laissant chuter dans la tentation pêcheresse, dans la tentation du mal. Rien ne sera source de peine dans la déchéance la plus complète. Rien ne pouvait lui interdire cette explosion de l'être... Elle voulait détruire sans aucuns remords, s'éloigner de la lumière aveuglante des cieux divins, persécuter les débris de sa vie d'avant. Jeanne était devenue « eux ».
***
Le réveil d'Agnès fut contradictoire... A la joie immense de se sentir en unisson avec le Duc de Vendôme, se mêlait la réalité, celle d'un départ en guerre. Les heures défilaient, les jours s'estompaient, jusqu'à devenir une perte de conscience du temps... Le goût délicieux de la bouche de cet homme adoré s'effaçait sous le baume de ses lèvres. Elle écrivait des lettres qui n'avaient aucun dénouement, se perdait dans les allées du jardin comme le ferait une enfant courant dans la plaine.
Agnès observait la demeure royale comme si elle la découvrait, dans une impression meurtrie de devoir tout réapprendre depuis le départ d'Edouard de Vendôme. La pierre blanche, la terre battue, les chevaux survivants, le silence étouffant... Elle arpentait les couloirs du château en écoutant le moindre murmure qui pourrait la libérer de l'incertitude et de l'ignorance. Mais les domestiques n'avaient, eux aussi, qu'une douloureuse méconnaissance. Agnès s'affirmait être chanceuse de n'avoir plus aucune expression de rite satanique. Mais était-elle pour autant en sécurité ? Ses pas se faisaient calmes, à glisser élégamment sur le sol rocheux, presque à se perdre dans les débris de poussière... Agnès se surpris à découvrir un lieu malpropre dans le château. Elle comprit s'être plongée dans un recoin reculé.
À élever le regard, une double porte de bois abîmée lui faisait face. Comment était-elle parvenue à ce territoire déchu ? Une sensation de danger s'entrechoquant avec un vent glacial la fit disposer. Elle ne souhaitait pas assouvir sa curiosité. Pas cette fois-ci, pas après avoir promis au Duc d'attendre sagement son retour... Pourtant, sa fuite fut impossible.
Elle n'avait pas remarqué le jour décliner et la nuit plus obscure que jamais, baignée d'une aura bleutée. Une silhouette inconnue, vêtue toute de noir et d'une élévation tranchante au sommet du crâne lui barrait le passage. Agnès s'immobilisa. Ce qui se dégageait de cet être anonyme était une cruauté sans pareille... A mesure qu'il s'approchait d'elle, elle reculait. Progressivement, son corps était happé par la pièce maléfique. Dans son dos, elle percevait déjà un sentiment néfaste la submerger, la dévorer. Il n'y avait aucune servante, aucune autre présence innocente... Il substituait dans l'ultime, cette chambre qui vous possédait.
Subitement, Agnès eut un mal de crane insupportable. Il lui semblait qu'elle avait été manipulée pour rejoindre cette partie du château. Durant les jours précédents, elle n'avait été que traquée, observée, étudiée. Maintenant, elle était amplement associée. Elle avait été, dans un stade final, poussée inconsciemment vers cette pièce maudite. Elle se rappelait des chuchotements sataniques qui, une énième fois, la saisissaient. Ce chant morbide la dépossédait de toute parole... Et lorsqu'elle apposa son dos aux portes de l'enfer, une main acérée l'agrippa. Ces doigts étrangers et busqués la firent défaillir. Ce fut dans l'impossibilité à se confronter à la silhouette ténébreuse, et dans l'ensorcellement à céder, qu'Agnès fut projetée à l'intérieur de la chambre. La vision de l'inconnu se perdit dans l'élan du corps en chute.
Agnès était prisonnière d'une noirceur terrifiante. Dans la précipitation et l'accommodation de sa vision, elle chercha l'esquisse d'un mur. Lorsqu'une quelconque surface fut atteinte, elle y appuya brusquement son dos. Ses yeux s'adaptèrent à l'obscurité. Sa respiration saccadée marquait la tension terrible qui planait dans l'air, comme si les ténèbres s'apprêtaient à l'engloutir. À tout moment, la représentation d'un démon, œuvre des enfers, viendrait la consumer. Mais ce qui la paralysa fut la présence de cet autre, dans la pièce close envahie d'immondices.
Malgré la sensation d'innombrables présences autour d'elle, de ces regards posés avec malice et orgueil, Agnès fut happée par une seule personne... La Reine Elisabeth d'Autriche, qui l'épiait de toute sa hauteur, l'écrasant de ses yeux cernés et bouffis.
- Ignorance...
VOUS LISEZ
L'Agnès
Fiction HistoriqueL'an 1563. Alors que les guerres de religion éclatent et bouleversent le royaume de France, Agnès Ducoroy, fille d'un riche peintre et ami de la couronne, se trouve en sûreté dans le palais de Blois. Mais les massacres en province et la recherche de...