~ Chapitre 11 partie I ~

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Il régnait un silence pesant au château de Fontainebleau. On méditait et craignait. Les femmes de chambre, servants et cuisiniers avaient appris la nouvelle... Paris était assiégé par les Huguenots. Un nuage noir de pensées maussades persécuta l'étendue de la demeure royale. Chacun s'interrogeait et, de façon discrète, brandissait l'espoir d'une échappatoire. Un unique mot traversait les bouches de l'assemblée : fuir. Il fallait être dans la possibilité de fuir.

Il était connu que du siège de la capitale résulterait une expansion des épidémies, de la famine mortelle, et la démence des humains... Il était même envisagé que le château soit dépouillé, les huguenots brûlant les tapisseries catholiques, détruisant la chapelle et ses innombrables croix religieuses dressées fièrement. Ce serait la vengeance des protestants, tandis que le Roi Charles IX n'était qu'un être naïf. Mais aussi un être...

- Amoureux.

La femme de chambre qui s'occupait des appartements de Marie d'Ally appuyait ses mots avec bienveillance. Mais plus elle s'empressait d'exprimer des flatteries, plus la maitresse favorite du jeune Roi en était agacée. Celle-ci criait sa rage médiocre. Le souverain était tombé amoureux de sa belle chevelure blonde aux reflets dorés, de sa grâce digne d'une déesse, de son visage d'ange et ses expressions douces, pleines d'innocence. Il s'était perdu dans la fausseté de cette apparence construite de toutes pièces. Peu d'hommes pouvaient résister à Marie d'Ally. Ils adoraient sa beauté, son élégance, sa faiblesse adorable et rafraîchissante.

Cependant, le jeu exhalait un air toxique qui l'asphyxiait. Elle vivait d'un tel désir, d'une telle arrogance à se plaindre, d'une impatience irraisonnable. Un élan d'agressivité la saisit.

- Non, Line. Vous ne comprenez pas, vous ne comprenez jamais ! Qu'est-ce qu'un homme empli d'amour pour moi s'il ne me donne aucun fils ? Je n'ai nul fruit de Dieu en moi, pas même la moindre esquisse d'un héritier. Mon corps n'est que vertu ! Ho Dieu, qu'ai-je donc fait pour mériter telle chasteté ? J'ai tout abandonné pour ce Roi ! Mais il ne me prendra jamais comme épouse... Toujours sous la coupe de la Médicis ! J'aurais pu vivre dans un château reculé auprès de mon cher Condé. Lui, m'aurait donné une famille à aimer. Je n'aurais jamais été enfermée jour et nuit, à attendre le caprice d'un homme dépendant, à une distance humiliante de ses appartements ! Si j'avais refusé tout ceci, Lise... Jamais je n'aurais été dans un tel état. Jamais je n'aurais chuté si bas !

La femme de chambre remarqua que Marie d'Ally triturait frénétiquement ses doigts en cachette, telle une petite fille gorgée d'un tempérament vulgaire. Maintenant que les draps étaient parfaitement préparés, Line pouvait envisager de disposer. Non qu'elle n'aimait aucunement la compagnie de la maitresse favorite de Charles IX, mais elle savait avec certitude que ce savoir partagé la positionnerait dans une situation délicate. Il fallait toujours être attentifs aux dangers de la royauté. Elle replia les tissus en attente, et écouta la suite du monologue qu'entretenait la belle saccagée :

- Je n'en peux plus. Je suis Marie d'Ally, la favorite du Roi... Je suis jeune et belle ! J'ai tout ce que désirent les femmes de ce monde ! Une majesté à mes pieds et les portes de son coucher ! Faut-il la guerre, Line, pour que le souverain me rende visite ? Faut-il le forcer à gouter à mes délices ? Faut-il que j'en vienne à perdre toute dignité, Line ? Le faut-il ?

La femme de chambre déglutit avec difficulté sous le regard sombre de Marie. Dans la recherche de ses mots, elle comprit qu'aucun ne pourrait la satisfaire amplement. Cette femme avait une soif équivoque à du fantasque, à de l'insaisissable. Elle balbutia d'une faible voix :

- Je pense que mademoiselle doit se reposer. Les jours à venir seront éprouvants.

Bien entendu qu'ils le seront, affirmait silencieusement Marie. Elle ne pouvait consentir à cette situation. Elle devait satisfaire un homme dont elle substituait la moindre parcelle d'adoration par une haine vorace, déchirant son cœur. Comment pouvait-elle être satisfaite lorsque l'homme véritablement aimé s'éloignait... Et que l'homme choisi par la raison ne se manifestait pas assez dans ses quartiers ? Elle poursuivait son existence dans l'incertitude. Il y avait une joie extrême, parsemée de larmes. Elle vivait dans le paradoxe d'offrir la tristesse dans un sourire forcé. Néanmoins, elle ne pouvait reculer. Elle pouvait crier sa colère pour s'encourager... C'était ce qu'il lui restait dans les cendres de son bonheur abandonné.

L'AgnèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant