~ Chapitre 15 ~

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Lorsqu'Edouard parvint au campement, une nostalgie le saisit. Il ordonna à ce que sa belle soit emportée dans une tente, seule, pour s'y reposer. Il n'eut pas le temps d'interpréter sa réaction, qu'il se précipita à son opposé. Elle n'offrit aucune protestation, mais Edouard savait ce qu'il se jouait dans ses pensées. Avait-elle compris ? Il se maudissait de ne pas lui donner ce temps précieux, celui à tout lui avouer. Mais retrouver le Prince de Condé état d'autant plus important.


Arrivé à la tente du chef Huguenot, un soldat annonça sa présence. Il s'engouffra dans la pièce avant qu'il ne s'agenouille dans l'instant même, la tête baissée et le genou droit à terre. Il affirma en percevant l'aura du Prince Louis :

- Pardonnez-moi, votre majesté. J'ai failli dans ma tâche. Je ne peux plus être espion dans l'armée catholique de France.

- Poursuivez.


Son cœur se serra. Louis de Condé faisait preuve d'un sentiment patient, comme si Edouard se présentait en survivant. Il était d'autant plus coupable d'avoir échoué. Il se haïssait d'avoir embrasé l'échec.


- J'ai des informations capitales. Celles-ci seront toujours valables lors de l'affront. L'armée catholique lancera leur assaut dans deux jours. Ils ne sont pas dans la connaissance de ma trahison, du moins... Pas celle en tant qu'espion Huguenot.


Un long silence s'ensuivit. Le Prince de Condé finit par s'avancer vers Edouard, le priant de se relever. Celui-ci refusa, avant que Louis de Condé n'élève son menton pour que le regard des deux hommes ne se rencontrent. Alors, Edouard regagna sa hauteur vaillante, égale à sa majesté protestante. Il fut gracié d'une tape à l'épaule. Le suzerain demanda à ce qu'ils se retrouvent seuls, et les soldats procédèrent rapidement. Il n'y eut plus que deux amis, l'un envers l'autre, l'un pour l'autre.


- On m'a avoué que tu étais accompagné d'une femme, qui est-elle ? - commença le Prince -

- C'est Agnès Ducoroy. Aussi appelé Elisabeth de France, princesse catholique, fille d'Henri II et de Catherine de Médécis.

Louis de Condé n'exprima aucune colère, aucune remontrance. Il s'adonna à remplir deux verres en fer d'alcool, et en tendit un à Edouard. Ils trinquèrent, le liquide venant brûler avec délice les entrailles, déjà parsemé des effluves d'amour qui martelait le Duc de Vendôme. Les deux hommes finirent par s'asseoir l'un à côté de l'autre. Le Prince reprit :


- Tu me rapportes donc une prisonnière de guerre.

- Pas exactement, votre majesté.

Louis de Condé bue une grande goulée.


- Tu as changé. Tu me réponds avec insolence, maintenant. C'est cette femme qui te rend aussi indépendant ?


Il n'y avait dans les paroles du Prince nulle agressivité. Il ne s'agissait pas de réprobation. C'était un homme qui ne pouvait exprimer ses réels sentiments, comme avait put l'être durant de nombreuses années le Duc de Vendôme... Avant qu'il ne rencontre Agnès Ducoroy. Elle l'avait mis à nu. Il n'était plus en mesure d'écraser ses émotions, les vifs éclats d'amour grandissant, le pourchassant jusque dans la nuit. Edouard était à présent marqué d'un désir sauvage, mêlé d'un souhait sensuel, proclamant un désespoir à la faire sienne. Il balbutia dans une voix percée de quintécense, peut-être bien atteint d'éthanol :


- J'ai échoué en tant qu'espion de guerre pour sa majesté, car j'ai sauvé cette femme. J'aurai pue l'abandonner à devenir princesse de France, à s'unir avec le Roi d'Espagne, ou à se repentir dans un monastère... J'aurai pue m'en débarrasser pour toute une vie. Mais j'en étais incapable. Je l'ai emporté avec moi par égoïsme et à présent je vous demande pardon pour mon échec. Je ne mérite pas d'être un de vos généraux. J'accepterai tout châtiment qu'il vous soit d'envisager.

Le Prince de condé finit son verre d'Alcool. Il déposa une nouvelle fois sa main contre l'épaule d'Edouard. La force apportée n'était pas celle d'une punition, mais d'un geste purement amical.


- Regrettes-tu de l'avoir sauvé, au détriment de ton statue d'espion que je t'avais accordé ?


Non. Edouard n'avait pas besoin de prononcer cette négation à l'oral pour que le Prince puisse en comprendre le sens. Pour rien au monde il n'aurait prononcé de remords envers cette femme qui avait bouleversé sa vie. Elle n'y était pas entrée progressivement... Il lui paraissait qu'elle avait entrouvrit les portes de son âme avec une élégance déconcertante, et une facilité à lui ôter les mots.


De ses doigts fins, féminins, à caresser sa chaire en frissons, elle avait saisi la poignée de son être et en avait rompu la serrure d'un coup brusque. Ce qui n'avait été que froideur et esprit sanglant, devenait une tendresse incommensurable... Il ne s'était jamais pensée capable d'éprouver une telle intensité de sentiment envers qui que ce soit. Il projetait sans cesse le sang et la mort sur autrui. Mais elle, il n'y avait pas la moindre colère, ne serait-ce qu'un infime doute... Il en avait même peur, tant son corps de guerrier pourrait la rompre. Sans le vouloir, il pourrait la briser.


- Épouse-la, Edouard. Tu es mon général le plus valeureux et mon ami le plus fidèle. Mais je ne peux pas te garder indéfiniment à mes côtés, pour moi seul. Tu es un homme amoureux. Marie-la demain et envoie les draps tachés de sang au château de Fontainebleau. Une princesse sans virginité n'est plus rien. Elle sera ta femme.



L'AgnèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant