Malgré la sensation d'innombrables présences autour d'elle, de ces regards posés avec malice et orgueil, Agnès fut happée par une seule personne... La Reine Elisabeth d'Autriche, qui l'épiait de toute sa hauteur, l'écrasant de ses yeux cernés et bouffis
- Ignorance...
Agnès s'adossa un peu plus contre la solidité du mur lorsque la Reine s'accroupit. Son être se perdait dans la monstruosité de cette femme, les cheveux en bataille, les ongles noirâtres et le visage tiraillé de fatigue. Les doigts de cette créature dénaturée caressaient la joue d'Agnès. La chair gelée devint plus envahissante et épousait le cou. La paume finit par se plaquer à même la gorge, tandis que les muscles de la main se contractaient. Le souffle d'Agnès lui échappa et ses mains tentaient de défaire la poigne de la Reine. Mais à mesure que les ongles la griffaient, Elisabeth d'Autriche accentuait sa prise d'étranglement.
Une sensation de vertige saisit Agnès... Il n'y avait plus que le bruit rauque de sa langue paniquée, et de ses déglutitions impossibles. L'expression de son visage magnifique devint épouvantable. Le sang s'élevait jusqu'au crane, un effet brûlant s'emparait de chacun de ses sens. La voix de la Reine était celle d'une enchanteresse :
- Pauvre de moi, qui voit l'horreur survivre... Enfant de cette médisante. Mourir, doit mourir...
Agnès était en quête d'un oxygène revigorant alors que sa main cherchait un objet pour se défendre. Ses doigts tâtaient le parterre, et les minutes s'écoulaient... Allait-elle mourir ? Elle comprenait enfin que la Reine délaissée était à l'œuvre dans les rites sataniques. Mais pourquoi lui vouloir du mal ? Cette source même, l'origine des murs ensanglantés, des chants diaboliques, des présences lucifériennes... Pourquoi Elisabeth d'Autriche voulait la tuer ? Ce fut dans cet instant qu'Agnès comprit à quel point elle désirait vivre.
Subitement, elle fit trouvaille d'un chandelier. Elle empoigna avec force cet objet qui capitula dans un bruit sourd, faisant état de surprise à la Reine. Celle-ci allégea sa prise au cou, mais ne put se protéger du coup porté par Agnès. Le métal s'écrasa contre le front de l'agresseur. La plainte rauque fit frissonner Agnès. Le sang au front crasseux de la Reine y collait des mèches de cheveux, et ses membres tremblaient. Agnès ne pouvait se retourner, ouvrir la porte, et s'échapper. Offrir son dos revenait à prendre une position de faiblesse. Elle n'était pas certaine que la Reine détienne une arme... Elle ne pouvait se permettre de fuir. Indéniablement, le meurtre devenait une raison valable. Elisabeth d'Autriche chuchota :
- Me tuer ? La haine et le sang... Le faire pour devenir pécheresse. Le faire pour crever l'autre. Est-ce la voix choisie, enfant de la médiocrité ?
Agnès ne comprenait nuls mots. Mais elle n'eut pas le temps de les interpréter que la Reine fondit sur elle. Poussée par l'instinct de survie, Agnès attribua un coup de poing dans les cotes de son adversaire, tandis que son autre bras la faisait chuter à terre. Le corps destructuré d'Elisabeth d'Autriche surmontait ses douleurs pour s'acharner sur Ducoroy. Mais la belle se défendit en dénaturant un peu plus l'anatomie de la Reine...
Elle agrippait la mâchoire pour la tordre, rompait le poignet, plongeait les pouces dans les yeux... Agnès était bien plus expérimentée à la lutte. Peut-être aurait-elle pu s'en contenter. Mais indéniablement, son âme brûlait d'insatisfaction. Elle était consumée d'un désir meurtrier des plus ardents. En elle, des élans de flammes calcinantes dansaient, lui offrant une pleine excitation. Il lui était impossible de délaisser la Reine sans l'opprimer d'un coup suprême. Elle percevait un mal immense la posséder. Cette chambre éveillait en elle le pêché. C'était ce noir intense, et les ténèbres l'engloutissant qui faisaient ressortir le pire en elle... Ils cherchaient sa haine et son insécurité. Ses espoirs et son chagrin d'une femme amoureuse.
Agnès finit par faire rouler la Reine sur le côté, s'empressant de reprendre son souffle. Elle ne parvenait pas, néanmoins, à reprendre ses esprits. Elle se savait atteinte d'une malédiction, d'une possession. Était-ce cette communauté satanique qui l'épiait ? Était-ce de leur jeu, de leur ressort, de la torturer ainsi ? La reine se releva en titubant, devenue maintenant une bête enragée. Pourquoi la détestait-elle autant ? Cet instant semblait être la réponse de tout un chagrin, d'une existence détruite...
Elisabeth d'Autriche fit quelques pas vers Agnès, mais ne paraissait pas être en situation de la provoquer. Elle était déjà dans une souffrance abominable. Agnès l'avait vaincue. Dans cette ombre, elle comprenait ce qu'elle avait infligé à autrui. Pourtant, cela ne pouvait être la finalité. Les dires de la Reine n'étaient plus que jurons incompréhensibles. Elle exprimait un enfant perdu, du désespoir, que quelqu'un lui vienne en aide, que quelqu'un la libère... Agnès ne pouvait le supporter.
La Reine découvrit un couteau d'argent, dont la lame sublime fit un bruit exquis lorsqu'on la déroba à sa protection. C'était un son qui faisait vibrer les entrailles. Agnès assistait à la scène comme si elle en était spectatrice. La Reine ancra l'arme de fortune dans sa propre chair meurtrie tandis qu'un cri s'échappait de ses lèvres sèches. Un flot de sang pourpre ruissela de la plaie, propageant la mort dans l'intégralité du corps. Celui-ci finit par tomber à terre au gré d'un souffle haletant... La Reine crachait le flux de vie et une pâleur morbide arpenta son visage. Agnès était restée paralysée, passive, étrangère. Elle n'appartenait plus au moment présent.
Son cœur était scindé entre la frustration de ne pas avoir joui de cette mort, et celle d'être bienheureuse de ne pas avoir commis l'impardonnable. La tension de la pièce continuait à s'amuser d'elle. Ce fut pour cela qu'elle ne put s'empêcher de vérifier la mort effective de l'épouse de Charles IX, s'engouffrant progressivement dans le sommeil. Mais alors sa majesté lui saisit la cheville. D' infimes paroles s'échappaient de cette bouche sanguinolente :
- Tous mourront... Enfant de Médicis.
Agnès se figea. La pression exercée sur sa cheville devint progressivement inexistante... Le sol était taché par le sang qui se répandait encore de la dépouille. La Reine était morte. Mais ce n'était pas ce qui fit horreur aux yeux d'Agnès. Puisque finalement, cette mort était nécessaire pour la protéger des rites sataniques, elle était maintenant en sécurité. Elle n'était pas dénuée de haine pour cette femme... Tout c'était passé si vite qu'elle n'aurait pu faire autrement.
Néanmoins, elle ne pouvait comprendre sa désignation en tant qu'enfant de Médicis. Il devait s'agir de Catherine de Médicis, mère du Roi Charles IX. Comment pouvait-elle être associée à la famille royale ? Ou était-ce quelqu'un d'autre ? Qu'en était le message ? Agnès quitta précipitamment la pièce à l'odeur nauséabonde de macchabée. Elle devait retrouver son père, Emmanuel Ducoroy. Elle devait comprendre. Il devait être l'un des rares résidents de Blois au courant des activités de la Reine.
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L'Agnès
Historical FictionL'an 1563. Alors que les guerres de religion éclatent et bouleversent le royaume de France, Agnès Ducoroy, fille d'un riche peintre et ami de la couronne, se trouve en sûreté dans le palais de Blois. Mais les massacres en province et la recherche de...