~ Chapitre 13 Partie II ~

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Enfin la femme revint, les bras chargés d'un sac comblé de vivres. Agnès lui fit signe de la déshabiller pour qu'elle puisse se charger de l'armure cavalière. Dans le processus, Agnès se surprenait à aimer la lourdeur du métal sur ses épaules. Elle se sentait différente... Peut-être que le renouveau permettrait le deuil. Après s'être totalement munie du costume, Agnès remercia la femme. Celle-ci affichait toujours un visage inquiet, mais il n'y avait guère le temps de se réconforter l'une et l'autre. Elle devait partir. Elle ne se précipitait pas car le deuil de son amie était commencé... Elle se hâtait, car le goût de la vengeance ne devait pas disparaître.

Elle saisit le sac de vivres ainsi qu'une lanterne, et déambula dans les couloirs, réussissant à se frayer un chemin jusqu'aux écuries. Là-bas, il restait peu de chevaux. Elle posa la main sur l'un deux qui la gratifia d'un hennissement. Il paraissait comblé. Elle le libéra, lui offrit une selle, puis se hissa à la position de maître. Assise, Agnès tentait de se rappeler les quelques cours qu'elle avait pu recevoir plus jeune, et les impressions ressenties au cours de la ballade auprès du Duc... Elle donna un coup de talon léger, suivi de la réponse de l'animal. Elle partit, accéléra la cadence, et apprécia à nouveau la sensation de monter à cheval. Dans l'obscurité, la source de lumière était faible. Mais elle était suffisante pour éviter les branchages et autres incommodités.

Le temps défilait sans qu'Agnès en ait conscience... Ses pensées étaient si envahissantes qu'elle ne pouvait s'ennuyer. Cependant, la nuit fraiche et la fatigue la consumaient. Il était hors de question de s'arrêter en chemin. Peut-être étaient-ils déjà à sa poursuite. Alors elle galopait, encore et encore, sans cesse. Les uniques instants de pause étaient pour le bien-être du cheval. Agnès n'était pas affamée, elle offrait sa nourriture à sa monture. L'eau qu'elle ingurgitait diminuait dangereusement. Elle en vint à économiser chaque goutte, tandis que le voyage semblait interminable. Il y eut des levers de soleil, des couchers, des astres lunaires différents, des nuits écourtées... Mais malgré les courbatures et l'épuisement, il y avait de l'espoir. Elle imaginait le visage du Duc de Vendôme, ne pouvait patienter plus longtemps, souhaitait tellement réapprendre chacun de ses traits... Peu importait qu'elle s'engouffre dans la guerre et soit à ses yeux un homme. Elle désirait être à ses côtés.

Qui allait-elle jouer, cette fois-ci ? Il semblait qu'Agnès avait vécu de longues années, Elisabeth avait aussitôt fané... Mais cette autre personne, qui s'empressait de se battre aux côtés d'un être aimé ignorant... Comment allait-elle le nommer ? Agnès était avachie sur son cheval. Celui-ci trottait lentement, la menant jusqu'à un château. Lorsqu'Agnès éleva le regard, elle vit qu'il s'agissait du château de Fontainebleau. Elle en avait entendu parler d'innombrables fois, elle ne pouvait s'y méprendre. Avait-elle réussi ? Dieu semblait être si généreux avec elle. Pourtant, elle ne le méritait pas.

Elle s'assit correctement sur son cheval, rectifia l'allure de son buste, puis atteignit le campement de l'armée catholique. Elle ne pouvait envisager d'accéder facilement à ce lieu ... Mais dès qu'elle posa le pied à terre, un épuisement incontrôlable l'envahit. Elle ne pouvait pas se le permettre. Elle portait son casque afin que personne ne puisse découvrir sa chevelure, ou son visage féminin. Agnès se forçait à rester éveillée quant un soldat escorta un général auprès d'elle. Elle avait été si concentrée sur son éveil, qu'elle avait perdu la perception du monde extérieur. Les soldats l'observaient avec incompréhension, comme s'il s'agissait d'un être à ne pas approcher... Certains brandissaient leur arme au moindre de ses gestes, d'autres reculaient comme si elle avait la peste.

Elle pouvait comprendre ce comportement. Elle était un soldat étranger dans un campement organisé... En temps de guerre, c'était particulièrement incongru. Mais dans tout cela, ce qui eut l'effet de raviver Agnès fut le général désigné. Elle ne put croire un tel hasard. Le duc de Vendôme approchait, la jaugeant d'un sourcil relevé.

- Décline ton identité, soldat.

Agnès ne voyait que très peu au travers du casque. Mais c'était suffisant pour la bouleverser. Edouard de Vendôme était plus magnifique que jamais. Les jours passés loin d'elle marquaient sa peau. Ce n'était pas une crasse à en être répugné... Non, c'était un amas de terre qui rendait la chair virile. Agnès aurait pu mourir sous la tentation d'ôter son heaume, tout cela pour retrouver ce qui lui avait tant manqué.

- Réponds !

La voix du Duc était sévère. Agnès n'avait cessé de répéter son action, ce qu'elle devrait faire dans l'instant même... Mais face à ce rêve inespéré, il lui était difficile de reprendre ses esprits. Elle avait bravé la mort pour atteindre le château de Fontainebleau. C'était un miracle qu'elle en soit indemne. À cette pensée, elle put se rassurer. Elle avait réalisé le plus complexe. Elle devait achever son plan... Regarder le Duc de Vendôme était suffisant pour recouvrer la vie. Mais elle était plongée dans l'incertitude : et si l'armure lui était ridicule ? Et si son corps de femme était évident, sous cet amas de métal ?

Elle se contenta d'ouvrir le sac et d'en sortir un papier. Elle le tendit au Duc. A son expression, cela ne l'enchantait guère. Mais au fond, Agnès souriait. S'il savait que la personne en face de lui était celle qu'il avait embrassée passionnément... S'il le savait, que ferait-il ? Agnès ne se connaissait pas aussi sensible à ce type de pensée. Peut-être était-ce la fatigue ? Ou bien la solitude.

Le Duc de Vendôme déplia le petit bout de papier dans un rictus. Il y était inscrit qu'il s'agissait du Comte Timoléon de Cossé, muet, qui insistait pour s'engager dans la bataille malgré son handicap. Agnès avait usé de cette identité car elle savait le père de la famille Cossé être en souffrance. Aussi, le nombre d'héritiers de cet homme était peu connu. Peu importait qui prenait sa place, aucun n'était populaire à la cour. C'était une communauté recluse.

De plus, elle se rassurait du fait qu'en guerre, un soldat de plus n'était pas à refuser. Il n'y avait donc pas la nécessité de vérifier si ce qu'elle disait était véritable... Et face au comportement d'Edouard de Vendôme, elle paraissait avoir réussi. Elle ne pouvait offrir sa voix. Et de plus, elle ne le souhaitait pas. Sa voix appartenait au Duc de Vendôme pour une femme désirée... Pas une femme escroc. Elle aurait été blessée qu'il ne la reconnaisse pas, et en même temps trop chanceuse. Le Duc de Vendôme déchira le papier.

- Je t'accepte dans mon infanterie. Que quelqu'un le mène jusqu'aux tentes pour se reposer.

Agnès eut un soupir de soulagement. Si elle ne pouvait plus vivre en tant qu'Agnès, alors elle ne vivra pas non plus en tant qu'Elisabeth... Elle allait jouer des apparences. Qui penserait à venir la chercher en guerre ? Elle n'épousera aucun Roi d'Espagne, et pourra vivre ses derniers instants auprès du Duc de Vendôme. C'était amplement suffisant.  

  

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