~ Chapitre 12 partie I ~

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Robert de Beauffremont parvint à sa chambre dans la soirée. Jeanne était introuvable depuis des jours, même s'il la gratifiait d'une union. Après ce qu'elle avait commis, il était fort humiliant qu'elle renonce à se marier avec lui. Robert insistait car il souhaitait une alliance avec la famille de Bourgogne. Ainsi, il se promettait de prouver son autorité en tant qu'époux dès qu'il la trouverait.

Il entra dans ses appartements avec un cœur prospère. Après tout, il pouvait profiter de la cour sans le devoir de partir en guerre. Son âge avancé lui permettait de s'accaparer une promise, de former une famille, et de dompter quelques ravissantes domestiques... Il pourrait peut-être même devenir conseiller, ou aristocrate. Robert fit glisser sa veste et s'assit lourdement. Si sa fiancée s'était enfuie hors du château, il ne s'amuserait pas à la pourchasser, ou à la sauver. Avec sa robe et ses joyaux ornés de pierreries, elle se ferait dépouiller, utiliser. Peut-être était-ce mieux... Il pourrait alors choisir une nouvelle promise, bien plus vertueuse, et il n'en manquait pas à la cour de France.

Soudain, il entendit un bruit. Un inconnu s'engouffra dans sa chambre, caché par les meubles et l'illumination faible des bougies. De plus, sa vision était insuffisante et sa rétine tremblait sous l'effort demandé.

- Qui est-ce ? Annoncez-vous !

Mais un silence intense emplit la pièce, faisant grandir l'inquiétude du Duc de Beauffremont. Le bruit des pas ne lui parvenait pas. Il se leva et recula dans la profondeur de sa couchette, découvrant une ombre se dressant à travers ses rideaux. Il répéta d'une voix plus franche :

- Qui êtes-vous ? Je n'hésiterai guère à me défendre !

Il sentit ses draps se plier sous une accroche humaine nouvelle. Dans son lit se précipitaient des membres inconnus... Ce fut lorsque, dans un geste brusque, il se saisit d'une bougie pour illuminer l'étranger, que la vérité le frappa. Robert de Beauffremont ne put retenir un sourire de satisfaction quand il comprit de qui il s'agissait. Jeanne, les cheveux détachés, une peau presque entièrement dénudée. Cette beauté offerte fit taire les craintes de Beauffremont qui déposa la source de lumière sur sa table de chevet. Peu importait que Jeanne ait pu disparaître... Elle semblait à présent décidée à répondre de ses actes.

Elle ne murmurait aucun mot, se délectait du regard de l'homme affamé, acceptait les injures d'un vieillard arrogant... Mais lorsque le corps de Jeanne s'approcha du corps du vieil homme, elle lui bloqua la taille par ses jambes et s'empara d'un coussin comme d'une arme fatale. Sous le regard paniqué de Robert, elle déposa violemment le coussin sur le visage grimaçant de l'homme. Celui-ci s'emporta aussitôt dans une danse macabre, essayant de se défendre de cette prise. Rien n'y faisait. A un certain âge, la puissance était perdue, elle n'était pas acquise pour toujours.

Alors Robert aspira le tissu vainement, asphyxié par la matière épaisse, persécuté par la volonté meurtrière de sa fiancée... Il laissa chuter ses membres tandis que sa bouche, grande ouverte, ne cherchait plus la moindre once de vie. Jeanne enleva délicatement le coussin. Elle aperçut des yeux translucides, aussi vides qu'admirables. Elle venait de tuer l'homme qu'elle n'avait jamais aimé, auquel elle vouait une haine incommensurable et pour lequel elle peignait la mort dans les mille et un recoins de son esprit.

Maintenant, il était évident que seule la Reine était en possession de son âme. Elle était guidée par Satan, les enfers. Subitement, elle eut le souhait ardent de retourner dans la chambre close de sa Majesté. Elle quitta les appartements du Duc de Beauffremont en délaissant le corps, puis plongea dans les plus sombres couloirs. Elle atteignit la pièce obscure dans un sentiment chaleureux, brulant. Mais après avoir rejoint l'intérieur, Jeanne fut paralysée face à la scène. Ses yeux se portèrent sur le corps allongé, inerte, sans vie... Sur ce corps couvert de sang, à en peindre généreusement le parterre. La Reine était atteinte d'une blessure au ventre et son regard était limpide. Jeanne s'approcha calmement, avant de tomber à genoux auprès de la dépouille. Il n'y avait plus que la paume de la main ouverte, comme si elle demandait miséricorde, comme si elle signifiait une attente d'offrande. Les doigts étaient glacés, d'une froideur morbide.

Lorsque Jeanne prit la Reine dans ses bras, elle fut submergée d'émotions impénétrables. Elle explosa dans un désespoir qui la fit hurler à s'en rompre les cordes vocales, la fit trembler d'une telle rage... Sa main tenait fermement la tête ballante de la morte et elle l'enlaçait fébrilement. Ses cris devinrent incessants. La vérité quant à cette tragédie n'avait pas d'importance à ses yeux. C'était la finalité qui lui infligeait une peine immense. Elle ne parvenait plus à entendre les échos des chants sataniques, à prier le diable dans l'obscurité, à échanger un amour éphémère auprès de la Reine... Elle était déchue, elle aussi. Il était immonde de penser qu'elle venait enfin de se libérer de ses lourdes chaines, pour finalement, ne pouvoir s'envoler auprès de sa Majesté. Elle avait tué pour s'élever.

La morte finit par glisser entre ses membres engourdis... Elle eut un long instant de silence, où elle ne remarquait que le néant. Elle se sentait en dehors de toute réalité, sans plus aucun monde auquel se rattacher. Elle était dépossédée du plus infime des espoirs. 

Jeanne se leva et sortit de la chambre. Habillée de façon négligée, une épaule dénudée et le regard livide... Elle arpentait les couloirs avec une chair marquée de pourpre. Le sang de la Reine avait épousé des parcelles blanchâtres, trop parfaites et douces à la fois. Et c'est en atteignant les parties les plus fréquentées du château de Blois que des exclamations et une multitude de murmures lui parvinrent. Il ne fallut que peu de temps avant qu'elle soit opprimée par les gardes. Les regards d'horreur mélangés aux voix stridentes persécutèrent l'intégralité de la demeure royale. Jeanne fut saisie brutalement, et l'un des gardes l'attachait d'une corde noueuse aux poignets. Il n'y eut plus que la certitude. Il n'y eut plus que l'abandon.  

  

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L'AgnèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant