Le Duc... de Vendôme ? Agnès sentit son cœur se serrer. Elle avait totalement oublié cet homme, tant elle avait aspiré à se concentrer sur les souhaits de son père. Ne pas pouvoir se laisser courtiser par un coureur de jupons ne lui était pas insoutenable. Elle respectait bien trop le marquis pour adresser la parole à un autre homme, connu pour ses conquêtes. Mais, étrangement... L'excitation d'il y avait quelques jours quant à cet homme mystérieux persistait.
- J'espère vous revoir. Si possible, le plus rapidement qu'il soit. Peut-être aimeriez-vous une promenade dans les jardins de Blois, ou assister à une représentation théâtrale ? Et, me ferez-vous l'honneur d'une danse lors du bal ?
- J'en serai ravie - souffla-t-elle-
Non, décidément, elle ne pouvait jouer avec un feu dangereux. Son mariage était imminent, elle devait le comprendre. Et tout allait si vite, en cette période de guerre de religion... Cela ne pourrait l'étonner si les fiançailles se faisaient dans la soirée.
Finalement, Agnès se retrouva seule. Elle devait réfléchir. Elle ne pouvait nier qu'il était un homme munificent. Richesse, bonté et beauté... Elle serait capable d'aimer cet homme. Elle n'y connaissait pas grand chose, mais elle avait l'intuition qu'à ses côtés, elle pouvait se perdre dans une affection comblée de tendresse. S'il poursuivait ses regards sincères, ses avances courtoises et ses gestes délicats...
Elle reprit ses esprits et se dirigea à grands pas vers le château. Elle ne pouvait amoindrir cet effet de soulagement immense qui s'éternisait dans sa poitrine. Elle souriait, se mordillait les lèvres, se prenait à croire à un plaisant futur, à une offrande inouïe de Dieu. Au loin, Agnès aperçut une Dame, les cheveux roux détachés sur une robe bleu nuit. Elle se précipita à la rencontre de son amie. Une comtesse observa d'un œil outragé le comportement frivole d'Agnès. Elle se hâta de quitter les couloirs.
Alors elle reprit son souffle. Elle adressa un large sourire à Jeanne, d'une manière communicative, et peut être aussi affectueuse. Jeanne appréciait Agnès, mais plus les jours lui étaient comptés dans sa liberté de femme vierge, plus elle blâmait son amie d'être bénie par les cieux. Cette impression que tout le bonheur lui était dû...
Pourquoi Jeanne était-elle si rude ? Elle devrait se réjouir de découvrir son amie aux portes du bonheur. Pourquoi pensait-elle de cette façon, lorsqu'elle portait son regard sur elle ? En ce moment, son mariage approchait et elle percevait les barreaux d'une cage oppressante se resserrer sur elle. Elle était piégée.
- Jeanne, mon père est venu me rendre visite hier soir. Il m'a demandé de rencontrer le Marquis de Savoie pour un mariage forcé. Par respect pour mon père, je m'y suis rendue. Et j'aimerais en discuter avec vous... Serait-ce correct que j'accepte tout ceci, que je me laisse porter ?
- Mais dites moi donc ! Poursuivez ! - s'écria Jeanne -
Le sourire d'Agnès accentuait la jalousie de Jeanne qui s'était promis de ne jamais manifester une telle véhémence envers son amie dont elle ne pouvait analyser les joies, sans les associer à ses propres peines, comme une injustice.
- C'est un homme bon, et il m'a regardé avec une pudeur plaisante. C'est une époux riche et honorable. Le Duc de Vendôme sera simplement un plaisir pour le regard.
- Mais Agnès, ce Duc est plus riche ! Il vous offrira plus de privilèges en une poignée de journées, qu'en toute une année avec le Marquis. Réfléchissez, avant de vous jeter à corps perdu. Si vous désirez vous marier avec un homme au regard amoureux, cela ne fera que vous octroyer de faux espoirs. De longues années durant, ce qu'il restera de certain dans le mariage, seront les richesses matérialistes. Vous devez vous offrir le meilleur... L'amour n'a pas sa place dans un mariage !
Agnès était surprise de la rudesse des mots de son amie. Elle savait qu'elle disait cela pour son bien, sans nul doute... Et que si elle n'avait pas été engagée, elle aurait séduit le Duc de Vendôme. Mais Agnès n'était pas ainsi. La séduction était un art qu'elle ne connaissait guère. Le Marquis de Savoie lui offrait une satisfaction d'être complimentée, désirée... Et cela lui suffisait.
De plus, il s'agissait du choix de son père. Qui était-elle pour remettre en cause ses paroles, juste après la discussion qu'ils avaient échangée ? Il lui avait rappelé l'autorité à laquelle elle était soumise. Dans les paroles de Jeanne, il n'y avait qu'un sentiment de désespoir. Elle n'aurait jamais dû en discuter avec elle. Jeanne devrait, d'ailleurs, écouter elle même ses plaintes voraces qui étouffaient dans son discours. Agnès souhaitait du temps pour se préparer correctement, pour répondre à ce que quémandait Jeanne.
- Je comprends, Jeanne... Merci. Nous nous retrouverons au bal, n'est-ce pas ? - murmura-t-elle - Je vais me retirer dans ma chambre.
Elle partit le cœur serré. Jeanne voulût la rattraper, et s'excuser. Mais d'un autre point de vue, elle avait eu besoin de cette explosion de colère et d'insatisfaction... Elle ne pouvait plus supporter la vie rêvée d'Agnès. Et même si lui avoir signifié que par conséquent, elle ne voulait plus en entendre parler, était une façon de gérer le problème. Elle se mordit la langue, les sourcils baissés, le souffle coupé. Elle n'en pouvait plus... Elle avait si mal. Elle priait pour qu'Agnès comprenne et lui revienne en confidente. Son mariage était dans une petite semaine, et elle ne cessait de quémander un temps aussi long que possible.
Elle noua ses doigts entre eux et quitta les couloirs du château. Chaque pas pesait dans son esprit. Elle se dirigea vers sa chambre, en ouvrit la porte d'une main frêle et aperçut son futur époux. Malgré le sourire qu'il affichait à son encontre, elle ne voyait que son âge avancé, la peau criblée d'imperfections, les joues ridées et d'importants cernes noirs.
- Ma Jeanne, j'ai quelqu'un à vous présenter - Lança-t-il -
Une personne sortit de l'ombre. Jeanne ne l'avait pas remarquée mais maintenant, elle ne pouvait en détacher le regard. Il avait fière allure, le buste droit, une confiance guerrière. Son visage était adroitement dessiné, en grande partie par son nez long et fin. Quant à son regard... Insondable.
- Je vous présente le Duc de Guise, ma Jeanne. Il est un fidèle compagnon. Pour notre mariage au château d'Amboise, je dois m'assurer des préparatifs. Durant mon absence, je ne voudrais pas qu'il vous arrive malheur.
Elle se força à l'en remercier, comme si elle pouvait être touchée par tant de générosité et d'attention à son égard. Certes, il était commun et même indéniable que la fiancée soit protégée avant le mariage. S'il lui arrivait malheur, cela pourrait ternir la légitimité de l'union.
Robert de Beaufremmont vint l'embrasser sur la joue tandis qu'elle cachait son dégoût. Les yeux noisette de Jeanne rencontrèrent ceux marron obscur du Duc Robert. Il la salua d'un hochement de tête, elle ne put que fermer ses lourdes paupières l'espace d'un instant.
- Je reviendrai dans cinq jours, ma Jeanne.
Elle entendit la porte se fermer dans son dos. Le silence embellit la pièce, mais quelque chose de destructeur y séjournait . Et au-delà de la douleur qu'elle se devait de maintenir prisonnière en son âme, la voix rauque du Duc de Guise fut une fissure.
- Vous pouvez pleurer.
Ces paroles eurent raison d'elle. Comme elle avait besoin de ces mots, de cette autorisation ! Sans se soucier de ce qui l'entourait, Jeanne fondit en larmes. Ses jambes ne lui permettaient plus de rester fièrement debout. Les membres tremblants, la voix fébrile, les sanglots à l'infini... Elle chuta à terre, le visage enfoui dans ses mains flageolantes. Elle aurait voulu avoir le don d'Agnès, celui de pouvoir déceler du positif dans une situation aussi sombre. Mais elle en était incapable. C'était ce qui faisait d'elle une femme peu crédule.
VOUS LISEZ
L'Agnès
Fiction HistoriqueL'an 1563. Alors que les guerres de religion éclatent et bouleversent le royaume de France, Agnès Ducoroy, fille d'un riche peintre et ami de la couronne, se trouve en sûreté dans le palais de Blois. Mais les massacres en province et la recherche de...