Il ne fallut que peu de temps avant qu'elle soit opprimée par les gardes. Les regards d'horreur mélangés aux voix stridentes persécutèrent l'intégralité de la demeure royale. Jeanne fut saisie brutalement, et l'un des gardes l'attachait d'une corde noueuse aux poignets. Il n'y eut plus que la certitude. Il n'y eut plus que l'abandon.
* * *
Agnès avait fait une multitude de pas pour parvenir à cette porte, cette entrée quelle ne pouvait s'obliger à ouvrir... En chemin, elle avait pensé à beaucoup de choses. Elle s'était rappelé la mort de la Reine, de chacun de ses mots, de la tension palpable et meurtrière qui l'avait submergée. Le sentiment de sécurité qu'elle éprouvait la faisait culpabiliser. Mais elle ne pouvait s'empêcher de ressentir un profond soulagement à l'idée que le point central des rites sataniques s'était donné la mort. Plus de sang sur ses murs, plus de cauchemars, plus de danger à la cour... Alors pourquoi n'était-elle pas amplement satisfaite ? Elle savait pourquoi. Pertinemment. Et c'était pour cela qu'elle se trouvait ainsi, figée à l'entrée des appartements de son père Emmanuel Ducoroy, sans pouvoir libérer la poignée de la porte. Elle devait avoir des réponses... Elle ne pouvait se permettre d'oublier les dires de la Reine. Ils résonnaient avec une telle puissance.
Après avoir inspiré un souffle nouveau, elle pénétra dans la chambre. Elle y découvrit son père assis sur l'un de ses sièges de velours verdâtre. Il était dos à elle, mais il sut. Lorsqu'il la rejoignit et lui proposa d'entrer au salon, Agnès cherchait déjà les mots exacts. Comment pouvait-elle s'exprimer ? Elle observa un long instant les flammes dansantes du feu, tandis qu'Emmanuel Ducoroy la pressait. Il n'y avait nul besoin de le flatter avant de traverser le doute et le tabou. Ce qu'elle s'apprêtait à discuter avec son père ne trouvait aucun moment propice, aucune intonation adéquate. En vérité, peu importait comment elle désirait s'y prendre. Elle espérait toujours que le comportement de la Reine ne soit que folie. Pourtant, au plus profond d'elle même, quelque chose d'étrange persistait. Elle balbutia :
- Père, j'ai rencontré la Reine Élisabeth d'Autriche.
Emmanuel Ducoroy se raidit. Il afficha aussitôt une mine perplexe. Mais Agnès ne lui offrit pas l'occasion de l'interroger. Elle devait se précipiter à raconter, questionner, avant que le courage ne lui soit volé.
- Elle m'a avoué une chose, pour laquelle j'aimerais que vous m'indiquiez la vérité. Elle m'a murmuré que j'étais une fille de Médicis. Est-ce vraisemblable ? Ça ne se peut !
Agnès s'attendait à percevoir le fin sourire de son père, suivi d'une hilarité légère, teintée de moquerie à son égard. Elle s'attendait à ce qu'il démente, l'insulte d'irraisonné. La fille d'une Reine ? La fille de Catherine de Médicis ? Comment était-ce possible ? Ses cheveux n'avaient pas une once de noir corbeau, pas même un reflet.
Néanmoins, il semblait que cela n'avait aucune importance. L'expression crispée, peinée de son père lui ôta le moindre mot. Ce fut à sa réponse qu'Agnès ressentit le traumatisme complet de ce qu'il venait de lui arriver. Elle réalisait enfin que la Reine Elisabeth d'Autriche était morte devant elle, et qu'elle aurait pu en être l'assassin. Elle n'avait eu aucune compassion, aucun reproche à l'observer dépérir. Puis, maintenant, elle devenait une femme qu'elle ne connaissait pas. Elle ne savait plus. Qui était-elle ?
- Agnès... Je pense qu'il est temps pour moi de t'avouer tout ceci. (Agnès se perdait dans l'incompréhension, le déni) Moi, Emmanuel Ducoroy, ne suis pas ton vrai père. Pas même l'ami de Charles IX. Non, je suis l'allié de Catherine de Médicis. Henri II était encore de ce monde lorsqu'il a demandé à ma femme et moi même de nous occuper de toi, nouvel enfant royal. Il était primordial pour eux de cacher ton existence afin de te protéger des chefs protestants. Ceux-ci cherchaient à tuer tout héritier d'un Roi catholique. À l'époque, j'étais un peintre... et ma femme servait une famille noble. Nous n'avions pas un sou. En échange de ta garde, nous nous voyions offrir un domaine éloigné de la cour, en territoire. Nous étions aussi souvent gratifiés d'or. Lorsque les conflits protestants se sont étendus en campagne, Catherine de Médicis m'a ordonné de t'amener au château de Blois pour y être en sécurité. Agnès... Tu es la fille d'Henri II et de Catherine de Médicis. Tu es... Elisabeth de France.
Agnès eut la sensation de chuter dans les profondeurs, sans pouvoir émettre un simple cri, sans pouvoir s'en défendre. L'impression de ne plus connaître qui nous sommes, ni même les personnes qui nous entourent... Cela lui était insupportable. Elle ne pouvait imaginer que tout cela soit réel. Si elle était une princesse, il y avait tellement d'évènements incohérents. Elle répondit dans un souffle d'espoir :
- Non, ça ne peut être vraisemblable, père. Vous m'avez promise à un Marquis. Vous m'avez pressée à m'engager dans ce mariage, alors qu'il ne serait pas profitable à la royauté. Je ne peux le croire.
Emmanuel Ducoroy déglutit.
- Je devais te cacher ta propre identité. Je devais te faire croire être quelqu'un d'autre pour que l'on ne puisse pas, malgré toi, te découvrir princesse. Ton ignorance était la clé pour t'éviter toute disgrâce. Comment les autres auraient ils pu savoir si toi même, tu ne le savais pas ?
Un sentiment encore inconnu la submergea. C'était un mélange de colère et de tristesse, un nœud dans l'estomac qui faisait souffrir son être tout entier. Elle ne pouvait croire à cette révélation. C'était le mensonge de toute une existence. Elle avait été dupée sur elle même... Maintenant, qu'était-elle censée penser de son futur, de sa position, de ses sentiments ? C'était une torture. Le peintre enlaça la main d'Agnès.
- Elisabeth... Je suis désolé.
La peine devint immense, indomptable. Agnès retira aussitôt sa main de cette autre, étrangère, sans aucune contusion. Ses faux parents n'avaient pas eu à travailler, à se salir les mains en y développant des callosités. Ils avaient pu jouir d'innombrables joyaux et d'une nourriture de grande qualité. Ils s'étaient empiffrés. Ils s'étaient tellement bien amusés.
Subitement, la richesse arpentant chacun des angles des appartements d'Emmanuel Ducoroy lui fit dégout. Elle ne parvenait plus à y déposer le regard. Il avait profité d'elle avec tellement d'aisance, comme s'il s'agissait d'une décision naturelle... Ils avaient accepté de l'enlever à ses parents d'origine. Et par dessus tout, ils l'avaient fait en recherchant le profit. Tout devenait si méprisable. Elle ne s'était jamais sentie ainsi. Pour la deuxième fois de sa vie, elle désirait tuer une personne. Si elle n'avait plus une trace d'humanité en elle, elle aurait certainement écrasé le crâne de cet homme contre la pierre de cheminée. Elle l'aurait frappé à plusieurs fois, toujours plus fort, toujours plus cruellement. Mais elle n'était pas véritablement de cette espèce... Ou peut-être que si ?
Il y avait un sang bouillant et meurtrier en elle. Il s'agissait du flux d'un Roi et d'une Reine, de personnes ayant massacré pour assouvir leur désir de pouvoir. Elle était d'un pourpre royal. Agnès se leva brusquement et, sans un mot de plus, s'approcha de la sortie. Cependant, elle fut saisie aux épaules par deux soldats. Emmanuel Ducoroy s'avançait vers elle.
- Maintenant que vous connaissez votre identité, princesse... Je suis dans l'obligation de vous enfermer dans vos appartements jusqu'à ce que la Reine, Catherine de Médicis, décide de votre situation. Veuillez comprendre.
Alors que le peintre formulait un ordre à l'un des autres gardes, Agnès essayait de contenir la souffrance qui l'animait. Maintenant, le père qu'elle avait toujours connu et qu'elle avait aimé profondément... osait l'appeler princesse et la vouvoyer.
La prise des gardes se fit plus intense. Il la guidèrent vers les couloirs. Cependant, Agnès se débattait avec vigueur. Elle réussit à déstabiliser l'un pour ensuite lui tordre le poignet, tandis que l'autre lui attribuait un coup dans le bas du dos. Elle se ressaisit en lui mordant l'avant bras et put un instant se défaire de sa capture, mais une autre personne lui fit face. Agnès n'eut pas le temps de traiter l'information de sa venue qu'elle fut assommée d'un violent coup de poing. Il était ironique qu'Emmanuel Ducoroy ait laissé ses sous fifres porter la main sur elle... N'était-elle pas une majesté ? Elle chuta à terre, inconsciente; alors que dans son esprit, tout devenait plus claire.
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L'Agnès
Historische RomaneL'an 1563. Alors que les guerres de religion éclatent et bouleversent le royaume de France, Agnès Ducoroy, fille d'un riche peintre et ami de la couronne, se trouve en sûreté dans le palais de Blois. Mais les massacres en province et la recherche de...